En attendant les beaux jours

« En attendant les beaux jours »

COMOLLI Jean-Louis

(Verdier)

Un livre si proche du vieux Lecteur qu’il lui est difficile et peut-être même impossible de s’en défaire. Un texte qu’en d’autres temps il aurait refusé, dont il se serait très vite défait. Mais un texte qui, parce que lui, le vieux Lecteur, vient de franchir la barre des octante et un ans, l’oblige à s’interroger sur son propre devenir dont l’issue n’est que trop certaine. La mort, qu’il n’est nul besoin de majusculer. La mort qui est l’issue la plus ordinaire de la destinée de chaque être humain, sur laquelle il n’éprouve aucun besoin d’épiloguer, sauf qu’il se refuse à la souffrance tout autant qu’à la déchéance.

Jean-Louis Comolli se sait condamné. Le crabe. Le crabe qui l’enclot dans ses espaces familiers, puisqu’il a choisi de mourir chez lui et que tout   a été ordonnancé pour qu’il en soit ainsi. Tout ce qui est nécessaire à l’organisation des soins dits palliatifs : lit médicalisé, fauteuil, tuyauteries… Ainsi que la présence des personnels qualifiés lesquels, au jour le jour, durant quelques minutes ou quelques heures, ont pour mission de l’accompagner dans les ultimes instants de sa vie. Ce que Jean-Louis Comolli raconte avec une distanciation qui confère à sa narration une pudeur jamais exempte d’une bien belle lucidité. Et qu’il ornemente à travers des souvenirs très personnels ou bien encore des lectures et des visionnements de films de considérations étroitement liées à ce que furent les passions de son existence (le cinéma, le blues et le free jazz). Le tout s’achevant juste avant l’échéance finale par cette phrase que le vieux Lecteur n’est pas près d’oublier : « Comme il est de règle, je ne peux conclure, au-delà de ma propre mort, que par ces deux mots : A suivre. »

Le vieux Lecteur a frôlé Jean-Louis Comolli à la fin des années 1960/début 1970. A une époque où non content d’avoir lié sa destinée à celle de la grande famille bolchevique, il occupa à Montreuil-sous-Bois les fonctions de directeur des affaires culturelles. Lesquelles fonctions le conduisirent alors dans un rêve qui prétendait faire de cette ville du Neuf Trois une cité vouée au cinéma et à la création cinématographique (n’avait-elle pas entretenu dans un lointain passé des relations avec un certain Georges Méliès ?). Un rêve qu’aucun des Ediles ne partagea, dont aucun n’écouta la transcription. Mais fort de ce rêve que d’autres avaient entendu et compris, il fut plusieurs fois convié aux réunions ouvertes de la cellule du cinéma, lesquelles se tenaient dans un immeuble parisien de la rue Saint Georges, siège (sous réserve que ne défaille pas la mémoire du vieux Lecteur) d’un mensuel depuis fort longtemps disparu, La Nouvelle Critique. C’est là que fut également convié Jean-Louis Comolli, jeune cinéaste avec lequel il entama un dialogue sans avenir, bien que ledit cinéaste (non lié au PCF) l’eût alors encouragé et lui eût même soumis quelques idées, de celles que les édiles montreuillois d’alors ne prirent pas la peine d’étudier.

Et puis la Lecture du court récit du même Jean-Louis Comolli est intervenue quelques semaines seulement après le décès du plus proche des amis du vieux Lecteur, François Jeanblanc. Le même mal : le crabe. Des ressemblances dans ses évolutions, ses attaques sournoises, les souffrances indicibles. Et donc l’issue fatale. Au terme de souffrances que François ne parvenait pas toujours à dissimuler, qu’il évoquait derrière quelques phrases convenues. Là où Jean-Louis Comolli décrit le dépérissement brutal.

« Alors ? Se préparer à mourir chez soi ? Dans le décor choisi pour y vivre, au milieu des livres – d’abord rangés dans ces bibliothèques peintes en gris plomb qui couvrent les murs, couloirs compris, ensuite dispersés au gré des lectures. Il y en a partout. Ce seront mes compagnons et je peux dire, cette fois : ils le seront jusqu’au bout… »