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Lectures
28 mai 2015

Terminus Allemagne

Terminus Allemagne, Ursula Krechel

 

« Terminus Allemagne »

KRECHEL Ursula

(Carnets Nord)

 

Difficile de sortir intact de ce bouleversant retour en arrière, lors de ces années où l’Allemagne se nazifia jusqu’à celles où, sous la tutelle de ses vainqueurs, elle se dénazifia. Tant ce long moment de l’Histoire poursuit le Lecteur depuis les premiers temps de ses humanités, avec ses séjours sur les rives du Rhin, ses premières lectures d’auteurs dont il fallut vérifier au préalable qu’ils se situaient du bon côté de la barrière, puis la découverte quasi fortuite quelques années plus tard du roman de Günter Grass « Le Tambour ». Mais aussi ses incessantes recherches, ses quêtes d’un improbable éclairage sur tant et tant d’évènements tragiques. Comprendre l’incompréhensible pour qui sait ce que fut l’Allemagne d’avant le nazisme. Et voici que lui advient le roman d’Ursula Krechel, ce roman dont il ne se défait pas, le roman écrit aux couleurs du sang et des larmes par une allemande qui n’est sa cadette que de quelques années. Donc une allemande qui cherche elle aussi à comprendre et qui  décortique ce long, cet inconcevable moment de l’Histoire. Une allemande avec laquelle il souhaiterait engager un dialogue afin qu’il puisse, à son tour raconter sa modeste part à lui de ce qui fut l’Abomination.

Dans ce qui n’est pas à proprement parler un roman, mais qui est bel et bien le récit romancé de deux vies brisées par le nazisme, Ursula Krechel n’use jamais de la périphrase. Entre l’avant et l’après 1945, elle raconte ce qu’il advient d’un homme et d’une femme, le processus infernal qui les propulse jusqu’au plus près de l’anéantissement. Lui, Richard Kornitzer, juriste et juif. Elle, Claire Kornitzer, femme d’affaire, aryenne et protestante. Un mariage contre-nature dès l’instant où les nazis s’emparent du pouvoir. Lui, mis d’office à la retraite puis contraint à l’exil à Cuba. Elle, survivant de peu. Mais ayant préféré l’un et l’autre sauver leurs enfants du désastre en les confiant à une institution juive œuvrant en Angleterre. Lorsque s’achève la guerre, lorsqu’en 1948 Richard Kornitzer retrouve l’Allemagne, il va alors devoir mener un long, un âpre combat pour que lui soient reconnus ses droits, pour qu’il obtienne une modeste indemnisation, tout en reconstruisant contre vents et marées une vie de couple. D’abord dans une petite bourgade bavaroise où Claire avait trouvé refuge, puis à Mayence, ville qui en 1948 n’est plus que ruines et où, après avoir été réintégré dans la magistrature, Richard Kornitzer devient président du tribunal d’instance. Leurs deux enfants, exilés en Grande-Bretagne depuis près de dix ans, refusent de renouer avec eux des liens familiaux. Ni Claire ni Richard Kornitzer ne s’en accommodent. Ils se résignent.

Le livre d’Ursula Krechel raconte cette longue succession d’évènements, du fragile bonheur de l’avant jusqu’aux difficiles tentatives de la reconstruction, celles de l’après. Dans une Allemagne dévastée. Mais aussi dans une Allemagne qui ne se dézanifie qu’à regret, où tant d’anciens dignitaires déchus reconquièrent petit à petit des positions dominantes au sein de la machinerie étatique, bénéficiant en cela de la complicité, voire même du soutien, des forces d’occupation américaines, britanniques et françaises. Suivre Richard Kornitzer dans son long combat pour que lui soient reconnus les droits qui lui furent retirés par les nazis, c’est découvrir que survivent alors en Allemagne des pratiques discriminatoires, des pratiques inégalitaires. Ce que ne peut tolérer celui qui est devenu président d’un tribunal d’instance. Un combat qu’il mènera jusqu’à l’épuisement (qui n’est cependant pas le tarissement). Ce livre n’est pas un livre d’Histoire. Ce livre est une œuvre du temps présent, une œuvre qui décille le regard, tant sur ce que fut l’autrefois que sur ce qui pourrait advenir au monde d’aujourd’hui, celui de nos proximités. Une œuvre forte, une œuvre nécessaire, une œuvre qui incite à ne rien tolérer de ce qui près ou de loin présente tant d’analogies avec ce qui fut.

« Or, dès que – après quelques semaines de réadaptation à l’Europe après mon voyage – je me suis présenté ici aux autorités en question, je me suis heurté à une résistance continue contre ma réhabilitation immédiate à un poste dirigeant. On m’a objecté en particulier la déchéance de ma nationalité résultant d’une mesure nationale-socialiste, ainsi que l’absence de poste libre, bien que d’anciens nationaux-socialistes occupent encore de nombreuses positions dirigeantes. Par conséquent, à cause de ces mesures national-socialistes je suis sans salaire depuis plusieurs mois, sans parler du fait que je suis exclu de la reconstruction démocratique. Bien que les instances dirigeantes aient avoué que, sans le nazisme, j’aurais désormais atteint la position de président de Chambre dans un tribunal de grande instance et que tous les Länder allemands connaissent un besoin urgent de juges démocrates, je suis contraint de chômer. » (Courrier adressé le 12 août 1948 par Richard Kornitzer au service chargé des victimes de persécutions politiques.)

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