D'une Allemagne à l'autre

"D'une Allemagne à l'autre"

Günter GRASS

(Seuil)

Journal de l'année 1990. 1990? Pour un écrivain allemand aussi engagé que le fut et que l'est encore Günter Grass, 1990 est l'année de la réunification allemande. Une réunification qu'observe, que scrute l'Ecrivain dans ce qui est un vrai journal. Ni neutralité ni impartialité: cette réunification, il la voit comme un coup de force perpétré par l'Ouest contre l'Est, la RFA contre la RDA, ce que plusieurs fois il appelle l'Anschluss, en ces temps où l'Union Soviétique agonise, où son armée se retire de l'Est de l'Allemagne. Pas la moindre concession à l'égard d'Helmut Kohl, chef de gouvernement de la RFA et chrétien-démocrate. Des désillusions aussi, à l'égard de ses plus proches amis, les socio-démocrates. Willy Brandt vieillissant. Oskar Lafontaine, velléitaire, timoré.

Günter Grass se retrouve bien seul dans son combat contre une réunification à marche forcée. D'autant plus seul que les allemands de l'est votent pour le parti d'Helmut Kohl, comme résignés à subir le capitalisme qui prévaut de l'autre côté du Mur. "Un an après. Comme un début tourne à son contraire. En accéléré, l'histoire habituelle des révolutions.... Cette année-là m'a-t-elle changé? Plus qu'elle n'aurait dû." Günter Grass est en effet tenté de s'éloigner du parti socialiste et de se rapprocher des Verts (ou, à tout le moins, de voter pour eux).

Mais Günter Grass, tout au long de cette année 1990, reste d'abord et avant tout un créateur. Il dessine beaucoup (quelques reproductions sont publiées par les éditions du Seuil). Et puis, il écrit des esquisses du roman qui paraîtra en 1992: "Le cri du Crapaud". Un roman dont le Lecteur est convié à découvrir les premières échographies, une Chose en gestation. Quelques phrases qui éclairent l'oeuvre d'un jour nouveau, tant l'Ecrivain insiste sur le sens de sa démarche.

Donc, et au bout du compte, un journal passionnant. Non seulement pour les familiers de Grass, mais aussi pour celles et ceux qu'intéressent l'oeuvre de cet homme tout autant que l'histoire contemporaine de l'Allemagne. Le Lecteur greffe à cette approche l'expression, chez Grass, d'une fidélité et d'un soutien de tous les instants aux persécutés. Christa Wolf et Christoph Hein, écrivains et allemands de l'Est, désignés à la vindicte publique par une presse (en premier lieu par Der Spiegel) qui leur reproche d'avoir accepté d'être édité en RDA.

Deux citations pour en finir.

D'abord sur la littérature.

"Hier dans le public, comme partout, plus de femmes que d'hommes. Les femmes posent aussi les questions les plus précises. Y compris des questions visant avec préoccupation le mutisme qui me menace (depuis "La Rate"). Il est vraisemblable que, sans lectrices, il n'y aurait plus de littérature."

Mais aussi sur feu notre seul président socialiste de la cinquième république.

" Et puis Mitterrand tient sur l'Europe un discours digne de la radio scolaire, très européocentriste, même si l'on devine qu'il laissera tomber en conclusion quelques petites phrases sur le tiers monde."