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Lectures
2 janvier 2024

Une magie ordinaire

kossi

 

 

 

 

 

 

 

 

« Une magie ordinaire »

EFOUI Kossi

(Seuil)

 

« Ces chants qui lui (à la mère de l’Auteur) venaient quand elle pensait trop à ce qu’elle appelait « les choses dures ». Ces chants auxquels je dois d’avoir gardé des traces de délices dans la mémoire d’une enfance qui n’a pas été sans tourments, des marques d’abondance dans la mémoire d’une enfance qui n’a pas été sans pauvreté, des empreintes de célébration dans la mémoire d’une enfance qui n’a pas été sans dureté. Et quand l’écriture m’advient comme aujourd’hui, c’’est de la même façon que ces chants qui venaient à ma mère, et pour les mêmes raisons : pour ne pas trop penser aux choses dures. Je n’ai jamais séparé la poésie du gri-gri. Je n’ai jamais séparé l’écriture de la poésie. Je n’ai jamais séparé la poésie du chant. Je n'ai jamais séparé le chant de l’incantation. Je n’ai jamais séparé l’écriture de l’exorcisme. »

Voici donc le livre qui a accompagné le vieux Lecteur lors de la transition entre l’an 2023 et l’an 2024. Le livre qui laisse en lui d’indélébiles traces. Un livre qui chante de telle manière que lui, le vieux Lecteur, se sent comme désentravé des lois et des règles qui d’ordinaire régissent sa pratique de sa langue natale. Un texte que l’on pourrait qualifier de simple s’il ne rassemblait et mettait en forme les principaux éléments constitutifs d’une vie. Celle de l’Ecrivain qui bien que togolais n’est pas né au Togo. Celles de sa mère et de son père qui l’ont nourri de ce qu’il est aujourd’hui, lui l’exilé, contraint de vivre et de travailler en France.

C’est un livre qui donne à comprendre ce que furent le colonialisme et ses conséquences sur la vie des peuples qui eurent à subir le joug imposé par les conquérants européens. C’est un livre qui éclaire, dans une phrase ou dans un court paragraphe, ce que fut la naissance des nations africaines. « Le Togo est un pays sans pays comme on dit du savon sans savon. Avec cette différence que le savon sans savon, ça mousse et ça lave, alors que le pays sans pays n’a pas la chaleur d’une mère mais, comme une marâtre, il glace. Un pays de papier dont la réalité, avant d’être matérielle – frontières faites de barrage de fer, de béton, de bambous et de pneus de camion, patrouilles armées, drapeau, hymne national, équipe nationale de football – a été d’abord celle de coups de crayon farouche, pointés comme des coureaux sur une carte d’Afrique étalée à la conférence de Berlin du 15 novembre 1884 au 26 février 1885. Cent quatre jours de querelles pour tracer les frontières de ce qu’on appelait des « possessions ». Cent quatre jours de querelles, de négociations, d’accords de compensation, de menaces entre les représentants de quatorze Etats européens, les possédants conviés par Bismarck à se partager l’Afrique suivant les codes de la bienséance, du dialogue et de la civilisation propres au raffinement des aigrefins. »

C’est un livre qui redonne sens à l’humain et donc à l’humanisme. Un livre dont la musique relie chez l’Ecrivain les deux langues, celle du colonisateur et celle du colonisé. Un livre qui n’efface pas la langue du colonisé, qui la fait vivre et palpiter dans le fatras de l’autre langue maniée ici avec une verve singulière. Un livre qui fait renaître quelques onces d’optimisme chez le vieux Lecteur.

« Mes racines profondes sont ancrées dans ce monde, le domaine des esprits, ce territoire où n’importe quel esprit humain peut s’approprier le produit de tout esprit humain sans déposséder personne, le territoire des langues, le territoire des connaissances, le territoire des arts, ce territoire que n’importe qui peut arpenter, débarrassé des identifiants au nom desquels on exige passeport, carte d’identité, étiquette, allégeance à l’Histoire, et autres brevets d’humanité, de cette humanité dont la définition demeure sous haute surveillance. »

Et puis pour clore le propos : « nous, les en-bas des en-bas, nous qui pratiquons jour après jour cette magie ni noire ni blanche, une magie ordinaire qui consiste à multiplier zéro par zéro pour avoir un, il nous était difficile de croire que le grand-père avait compté parmi « les en-haut des en-haut ».

 

 

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