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Lectures
9 août 2023

L'enfant qui voulait disparaître

mott

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« L’enfant qui voulait disparaître »

MOTT Jason

(Autrement)

 

Un uppercut ! Qui a laissé le Vieux Lecteur tout émerveillé, avec tout plein d’étoiles dans la tête. Des étoiles qui ne se sont pas décrochées du drapeau US. De somptueuses étoiles qui l’ont ébloui. Un roman prodigieux. A ses yeux et à son entendement de Vieux Lecteur, bien entendu. Un roman auquel il a d’ores et déjà accordé une place d’exception sur les rayonnages de sa bibliothèque.

L’enfant qui voulait disparaître, ce roman-ci que son Auteur (Jason MOTT) feint de présenter – en exergue - comme une banale histoire, Les aventures absolument véritables d’un gamin qui fonce la tête la première, né et élevé en Amérique, la tête emplie de rêves et à la vie pleine de désillusions. Celui qui dans le roman devient le Gamin, donc avec un G qui se majuscule, comme pour mieux le reconnaître et parvenir à l’identifier (et auquel il donnera le nom de Charbon, allusion au noir intense qui caractérise l’épiderme de l’enfant). Car ce Gamin, son père en est certain, ne trouvera son salut que dans la disparition. « Il disparaît… vers l’Invisible… Enfin… Enfin, il sera intraçable… Enfin, il sera invisible… Enfin, il sera en sécurité. » Le Narrateur, qui n’est autre que l’Ecrivain, sillonne les Etats-Unis : son éditeur lui a imposé de participer à la promotion du roman qu’il vient de publier et qui s’intitule L’enfant qui vient de disparaître.

Tout ceci en un temps déraisonnable, qui dure depuis les lointaines années de l’exportation vers les Amériques de centaines de milliers d’esclaves et qui ne s’est pas achevé avec l’abolition de l’esclavage. Un temps déraisonnable qui s’est doté de formes nouvelles, lesquelles caractérisent le racisme contemporain. Tel ce droit que s’arrogent des policiers d’exercer une justice expéditive. « Ce gamin est le premier d’une longue liste de gamins abattus que tu vas croiser durant ta vie. Ils vont s’accumuler, chaque semaine. Tu vas tenter de te souvenir d’eux, mais à un moment, tu n’auras plus la place pour ça, et ils sortiront de ta mémoire, abandonnés. Et puis un jour, tu auras grandi, et tu comprendras que tu as oublié son nom – le nom du premier gamin noir que tu t’étais promis de ne jamais oublier -, et tu te détesteras. Tu détesteras ta mémoire. Tu détesteras le monde. Tu détesteras ton impuissance à stopper ce flux des cadavres qui se sont accumulés dans ta tête… »

Un roman d’une force implacable. Parce qu’il laisse comprendre à la manière d’une fable la réalité (les réalités ?) du racisme à l’américaine. Mais qui acquiert par la vertu de son traitement littéraire quelque chose d’universel. Qui interpelle donc aujourd’hui le lecteur français, lui qui vit dans un pays qui s’est certes désencombré de la peine de mort mais qui tolère et protège ceux qui l’exercent hors de tout contrôle démocratique. Certains faits divers récents illustrent ce brutal et effarant retour en arrière, ce droit de mort que dénonce Jason MOTT (les quelques pages que l’Ecrivain consacre à la rencontre d’un flic blanc et du père de Charbon sont à ce titre en tout point saisissantes). Tout cela dans un roman qui n’incite cependant pas au désespoir et au renoncement. Qui, au contraire, laisse entrevoir l’autre monde.

« Les plus beaux jours – les plus rares et les plus magnifiques – Charbon regarde dans le ciel et aperçoit d’incroyables merveilles. Il aperçoit une autre Terre. Non. Pas une Terre. Quelque chose d’autre. Une planète à part entière, comme la sienne, mais différente. Elle flotte dans le ciel telle la réponse à une question que son cœur lui pose chaque jour de sa vie. Cet endroit, dans son intégralité, a la couleur de l’onyx. Les océans, les montagnes, les forêts, tout ce qui s’y trouve est aussi profondément noir que la peau qu’il déteste tant. Et pourtant, dans cet autre monde, il ne déteste pas ce qu’il voit. Là-bas, il aime la couleur de sa peau. Comme cet endroit est pour lui un second foyer, il veut lui donner un nom. S’il arrive à le nommer, alors il pourra le convoquer dans la réalité, quand il le désirera. Il pourra le prendre avec lui, et s’y échapper. Il ne se sentira plus jamais seul ou honteux. Il pourra s’accepter à n’importe quel moment. Il pourra toujours s’aimer… »

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