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Lectures
21 octobre 2015

Peut-être Esther

9782021182439

 

 

 

 

 

 

 

 

« Peut-être Esther »

PETROWSKAJA Katja

(Seuil)

 

Ce récit requiert une attention de tous les instants. Puisqu’il entraîne celle ou celui qui s’y confronte dans les méandres de l’Histoire, celle d’une Europe qui englobe la Pologne, l’Ukraine et la Russie, celle qui parcourt les années qui vont de la Révolution Bolchevique jusqu’aux temps d’aujourd’hui. A la recherche des traces qu’auraient pu laisser ceux qui survécurent mais aussi ceux qui s’évaporèrent. Brinquebalés. Entre stalinisme et nazisme. Arrières grands-parents et grands-parents de la narratrice, Katja Petrowskaja   . Les indices égarés ici ou là. De rares photographies. Des lettres. Et puis les archives des uns et des autres, les archives officielles des deux systèmes, pour celles et ceux qui n’eurent pas la chance d’échapper aux pièges mis en place par les machineries infernales. Les errements, les tâtonnements de l’Auteure qui tente de reconstituer un ensemble en recollant les morceaux épars. Ceux qu’a nécessairement laissé ici ou là une famille ni tout à fait juive ni tout à fait russe et si peu ukrainienne, donc exposée à la vindicte des bourreaux. Des camps de concentration nazis au goulag soviétique.

Varsovie, Kiev, Moscou. Vienne, aussi. L’éparpillement. Rosa, par exemple, la babouchka.  « S’il n’y avait pas eu la perestroïka, s’il n’y avait pas eu mon voyage en Pologne et ce disque, la fenêtre scellée de sa petite enfance ne se serait jamais ouverte à nous et je n’aurais jamais pu comprendre que ma babouchka venait d’une Varsovie qui n’existe plus, que nous sommes de là-bas, que je le veuille ou non, de ce monde perdu que se rappelait ma grand-mère arrivée à la dernière limite, à la lisière, s’éloignant déjà de nous, se retirant. » Ou bien encore l’évocation de la mère de la narratrice. « En juillet 1941, lorsque ma mère a quitté sa ville natale de Kiev, elle n’avait pas six ans. Tout ce qu’elle m’a raconté sur son enfance avait trait à la guerre. Elle se souvenait d’avant, mais c’est dans la guerre qu’elle avait trouvé de quoi apaiser sa soif de grands sentiments et son désir naturel de justice. Elle mesurait à l’aune de la guerre tout ce qui s’était passé après. »

Donc la guerre. Omniprésente dans le récit que livre Katja Petrowskaja. Pas un seul membre de sa famille qui y ait échappé. Personne, parmi les survivants, n’en est sorti indemne. Même la parentèle la plus éloignée. Le lecteur ne cessa jamais d’être bouleversé par l’émotion, celle que fait naître l’identification des souffrances endurées par les gens de là-bas, victimes d’une barbarie a priori inconcevable. « Dix jours après l’invasion de Kiev par les Allemands, fin septembre 1941, la totalité de la population juive restante a été tuée ici, à Babi Yar, au vu et au su des autres habitants et avec l’aide de la police ukrainienne. Kiev, la plus ancienne ville russe, où les Juifs aussi vivaient depuis plus de mille ans, fut débarrassée de tous ses Juifs. Oui, on a l’habitude de nommer ces victimes des Juifs, mais pour beaucoup ce sont juste les autres. C’est trompeur, car ceux qui ont dû mourir à Babi Yar n’étaient pas les autres, mais les camarades de classe, les enfants de l’arrière-cour, les voisins, les grands-mères et les oncles, les vieillards bibliques et leurs petits-enfants soviétiques… »

L’Europe. La guerre. Un regard sur un monde qui n’est plus, qui « n’existe plus ». Sauf que ce monde est peuplé par les enfants et les petits-enfants de celles et ceux qui vécurent cette tragédie-là. Et que les convulsions qui affectent l’Europe d’aujourd’hui portent en elles les germes d’autres violences. Ce livre de Katja Petrowskaja est à rapprocher de celui d’Anne Weber dont le Lecteur fit longuement état, « Vaterland » (Seuil). L’un et l’autre sont des textes d’éveil, indispensables à nos consciences assoupies, anesthésiées par des certitudes qui ne sont, au bout du compte, que des chimères. Le Lecteur ressent l’impérieux besoin de les rapprocher, de les associer.

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