Tout va très bien bien se passer

« Tout va bien se passer »

QUINTANE Nathalie

(P.O.L.)

Voilà déjà quelques années que le Lecteur chemine derrière Nathalie Quintane, à passer quelques heures en sa compagnie lorsque P.O.L. publie un nouveau roman de cette Auteure inclassable. Tout s’est très bien passé durant les deux soirées qu’il vient de consacrer à ce nouveau bouquin. Un bouquin ? Mais quoi ? Un roman ? Une fable ? Le vieux Lecteur ne sait pas, ce qui ne le dérange pas, bien au contraire. Puisqu’il a pris plaisir à s’égarer dans le Paris réinventé par Nathalie Quintane, le Paris des beaux quartiers, dont l’épicentre se situe bien entendu au palais de l’Elysée. Là où tout commence. Là où tout s’achèvera. Dans l’étrange compagnie d’un ministre « démembré ». Un personnage de pouvoir. Mais qui semble n’avoir pouvoir sur rien, pas même sur celui qui lui sert de garde du corps.

Paris, ville engluée dans le brouillard. Des rues et des avenues parcourues aux côtés de la narratrice et de cette jeune peintre qui est devenue son amie, Lucile Franque. Laquelle vécut, au temps de la Révolution. Qui fut élève de David avant de s’émanciper de l’autorité du Maître et de fonder avec quelques autres un « groupe » dont la liberté de ton fait immanquablement penser aux Surréalistes. La lente et paisible déambulation dans Paris. Une (re)conquête de ce qui s’apparente à la liberté. Dans une ville apparemment apaisée.

Et puis le festin final. La fête à peine contrariée. Des paragraphes jubilatoires qui font parfois penser au film de Marco Ferreri. « Je me suis vue ouvrir en deux le fruit et pincer un à un les poils puis tirer avant de pouvoir déguster la chair de figue sans doute d’une saveur inconnue, comme ces fruits du Brésil, par centaines, dont nous autres ne devinons pas, même en mêlant des goûts que nous connaissons déjà, par exemple la fraise avec la pomme, ou bien la banane avec l’ananas, ou encore la poire avec l’avocat, ou bien le chou avec la tomate, ou bien le poireau avec la cerise, ou encore la pêche avec l’oseille, ou bien l’abricot et le céleri, la rhubarbe et la blette, la betterave et le kiwi, la roquette et la framboise, dont nous ne devinons pas le goût, ce que ça fait sur la langue et la texture, est-elle filandreuse, est-elle grasse, est-elle maigre, est-elle grumeleuse, est-elle sirupeuse, est-elle dense, etc., des fruits qui, par déduction, nous révèlent combien notre tête est réduite, bien calibrée, proportionnée à une poignée d’odeurs, de vues, de sons, déséquilibrée dès qu’on en ajoute un, perturbée si deux, inutilisable à cinq… »

Oui, tout s’est très bien passé pour le vieux Lecteur .