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Lectures
6 octobre 2023

Grandeur nature

de lucca

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Grandeur nature »

DE LUCA Erri

(Gallimard)

 

Neuf nouvelles. Un Ecrivain italien qui appartient au Panthéon du Lecteur. De nombreuses traces parmi les notes égarées au fil des années parmi les pages de « son » blog qui a pour fonction essentielle de raviver sa mémoire lorsque cela lui est nécessaire.

Une nouvelle a tout particulièrement retenu son attention. Une nouvelle dont les premières phrases réveillèrent chez lui des souvenirs, ceux d’une rencontre antérieure. Une rencontre qui, de fait, remonte à 2014. Mais là, lui, le vieux Lecteur, n’a pratiquement rien oublié. Une nouvelle intitulée Le tort du soldat. Un titre qui est celui du texte qui prit, en 2014, les apparences d’un roman. Un texte qui le Lecteur d’alors salua à sa manière (qui n’est point celle, est-il nécessaire de le rappeler, d’un critique mais d’un simple Liseur). Grandeur nature, publié par Gallimard en 2023, offre ce que Erri De Luca appelle « une nouvelle version » de ce texte. A peine plus courte. Qui se différencie donc sur le contenu, même si les fondamentaux restent les mêmes. Sauf qu’ils font référence aux mêmes préoccupations de l’Ecrivain, cet homme qui, le Lecteur le suppose, observe non sans inquiétude, la résurgence (et non la renaissance) d’un fascisme dont les traces historiques, indélébiles, se devraient de tenir en éveil les consciences. Erri De Luca ouvre sa nouvelle version par une interrogation : « Comment se fait-il ». Une interrogation non assortie du point censé la légitimer. Erri De Luca a tout simplement éprouvé la nécessité d’écrire une nouvelle version. Et cette nouvelle version, tout autant que la précédente a passionné le Lecteur. Un décor identique : les Dolomites, montagnes fastueuses tant de fois gravies par l’Ecrivain. L’auberge/refuge où il déjeune. La proximité d’un couple qui lui est étranger. Des Autrichiens, le père et la fille. Leurs discussions qui font naître chez le témoin des interrogations, des doutes, qui voient remonter en lui ces traces d’un temps de l’Histoire dont les blessures ne cicatriseront jamais. Le nazisme. La Shoah. L’extermination d’un peuple. La fille du vieil homme qui fut, lui, du camp des exterminateurs. La fille qui porte le fardeau des crimes commis par le père.

« Je le porte en moi son sang. Les crimes étudiés à l’école habitent ici. Les fantômes de l’Histoire existent et vivent le jour dans la pièce à côté de la mienne. Je suis sa fille pour toujours. Elle, elle n’est qu’une épouse, elle peut partir, mais moi comment puis-je m’en aller loin de cette condamnation ? Où que j’aille, je la porte sur moi.

Quel genre de personne devient celui qui a tué des gens sans défense et qui doit ensuite feindre une existence normale ? Porter le masque de l’inoffensif : est-il se facile de se mêler de nouveau aux autres ? Ne se trahit-on pas, n’a-t-on pas la tentation d’agir normalement ?

On dit : avoir du sang sur les mains. Les siennes sont propres, soignées. Le sang ne salit pas, il accuse au contraire. « Voix de sang de ton frère m’appelle du sol » est-il dit à Caïn après son crime. Le sang a une voix, il crie, et l’assassin doit la faire taire. C’est un indice : lui, mon père, ne supporte pas les cris. Si une dispute augmente de volume dans le voisinage, il met une musique plus forte. Les cris des morts laissent des égratignures dans l’ouïe, s’accrochent dans les nerfs. »

En ces temps troublés, lorsque du côté d’Ottawa la foule des parlementaires et leur président acclament un ancien tortionnaire nazi sous le regard même pas médusé du président ukrainien, le texte de De Luca, en sa nouvelle version comme dans la première, surgit à point nommé pour rappeler que nous n’en avons pas fini avec ce temps de l’Histoire. La bête immonde s’est manifestée à Ottawa. Plus vivante que jamais. Elle rôde par ici.

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