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Lectures
5 mai 2023

Celui qui veille

louise

 

 

 

 

 

 

 

 

« Celui qui veille »

ERDRICH Louise

(Albin Michel)

 

Passionnant roman. Plus que passionnant. Un roman dont il est impossible de se défaire. Le vieux Lecteur est un presque familier de Louise Erdrich. Mais jamais jusqu’alors dans ses précédentes rencontres il ne s’était ressenti d’autant d’affinités avec cette grande dame des lettres américaines. Au point qu’ayant refermé le livre une première fois voilà près de deux mois, il y revient afin de se réémerger dans quelques-uns des passages pour lesquels il avait laissé des repères (ces petits papiers qui se collent sans toutefois laisser de traces).

Une belle et noble histoire que celle que raconte Louise Erdrich dans Celui qui veille. L’histoire d’un vieil homme qui engage ce qui pourrait être l’ultime combat de sa tribu contre ceux qui ont volé à son peuple leurs terres, qui ont détruit ce qui fut leur mode de vie et qui prétendent désormais effacer toute trace de leur existence passée. Un sénateur défend un projet de loi qui entend « émanciper » les derniers indiens, ceux de la réserve de Turtle Mountain. Derrière un discours « démocratiquement correct » se dissimule un projet d’éradication de la spécificité de la culture qui fut celle de Thomas Wazhashk et de ses ancêtres. Et cela Thomas n’est pas prêt à l’accepter. Il va mobiliser les membres les plus représentatifs de cette tribu, prendre conseil auprès de celles et ceux qui ont eu accès au savoir, décortiquer le texte du sénateur tout en continuant à exercer ses fonctions de veilleur de nuit dans l’unique usine du secteur.

Le roman se nourrit donc du combat déterminé que mène le vieil homme. Et il s’enrichit de la présence à ses côtés de personnages qui permettent de mieux comprendre le mode de fonctionnement des tribus encloses dans ce que le gouvernement américain appelle des « réserves », territoires que les Blancs cherchent à s’accaparer, d’où la nécessité pour eux de faire disparaître toute trace des amérindiens. « Incroyable, parce que l’impensable était rédigé dans un langage sobre et parfaitement inoffensif. Incroyable aussi parce que cet objectif, au final, était de défaire, de revenir sur la reconnaissance officielle. D’effacer en tant qu’Indiens lui-même, Biben Rose, ses enfants, son peuple : nous rendre tous invisibles, comme si nous n’avions jamais été ici, de tout temps, ici. »

Ce roman vibre, palpite, sans jamais d’accorder de temps mort au Lecteur. C’est qu’il y a urgence à tenter de sauver ce qui peut l’être encore. Un peuple qui de tout temps habita la contrée que les Blancs veulent annexer. Thomas, en son combat, ne sera jamais seul. Sa femme, ses enfants l’accompagnent et l’assistent. Comme vont l’accompagner les autres personnages du roman de Louise Erdrich. Dont Pixie, la nièce de Thomas, jeune femme résolue, déterminée, combative, qui refuse de s’enliser et s’essaie à esquisser les contours d’une vie de femme libre capable de s’inventer un avenir à la mesure de ses rêves. Dont Millie qui se découvre indienne en revenant vers Thomas. « La jeune femme n’était pas passée par le pensionnat et on ne lui avait jamais rien appris au sujet des Indiens. Si elle en était tenue à l’enseignement de son école catholique, elle les aurait pris pour une bande de sauvages qu’on avait vaincus ou qui avaient eu la bonne idée de mourir. »

Oui. Un prodigieux roman. Des heures fabuleuses que le vieux Lecteur prolonge comme il le peut. A sa façon. Par des retours inopinés. Tel celui-ci. « Thomas appartenait à la génération d’après le bison, celle des qui-sommes-nous-désormais. Il était né sur la réserve, et tenait pour acquis qu’il mourrait sur la réserve. Il possédait une montre, n’avait jamais appris à lire l’heure en étudiant la position du Soleil et la Lune. Il avait d’abord parlé l’ancienne langue, puis aussi l’anglais avec un petit quelque chose à lui et une infime trace d’accent. Un accent qui n’appartiendrait jamais qu’aux gens nés comme lui au début du siècle. Elle serait bientôt perdue, cette façon douce mais ferme de s’exprimer. Sa génération devrait se définir. Qui était indien ? Qu’est-ce que ça voulait dire ? Qui, qui, qui ? Et comment ? Comment leur identité pouvait-elle dépendre d’un pays qui, les ayant vaincus, essayait par tous les moyens de les absorber ? Ce pays continuait parfois à manifester sa haine frontalement, certes, mais, le plus souvent, ça passait par un déversement de sentiments glorieux. Guerres. Citoyenneté. Drapeaux… »

Un grand, un très grand roman, un roman qui nous révèle à nous-mêmes, nous qui sommes les descendants des conquérants, ces braves et vaillants soldats façonnés par l’église catholique pour aller porter la bonne parole chez les sauvages, avec pour seule arme d’une prétendue évangélisation le glaive puis le fusil. Quelques millions de morts aux yeux du Grand Vaticancaneur et de ses adorateurs, ça ne compte pas ?

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