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Lectures
6 novembre 2015

La nuit de Walenhammes

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 « La nuit de Walenhammes »

JENNI Alexis

(Gallimard)

 

Le Lecteur avait émis des réserves sur le premier roman d’Alexis Jenni (« L’art français de la guerre »), roman qui bénéficia de la reconnaissance des vieilles badernes chargées de décerner les prix dits littéraires, conséquents amplificateurs des ventes qui font le bonheur des « grandes » maisons d’édition. C’est donc avec une certaine circonspection qu’il s’attela à la découverte de ce second roman. D’abord intrigué par le titre. Avant de découvrir que Walenhammes est une cité fictive mais ô combien réelle. Une ville aux confins du pays belgien. Qui fut minière et ouvrière. Une ville qui n’est plus rien. Un cadavre de ville où survivent des gens qui oscillent entre la nostalgie d’un passé irrémédiablement révolu et d’un devenir marqué du sceau de cette modernité qui est la négation même de l’avenir.

Charles Avril y survient par hasard. Une carte postale qu’il trouve dans son courrier. Qui l’intrigue et titille sa curiosité, lui qui exerce la profession de journaliste, pigiste au service d’un patron plutôt pingre. Il y rencontre Marie, belle et fascinante naïade. Et c’est avec elle et avec ses proches qu’il découvre un monde en pleine décomposition, un monde décharné, un monde endolori que quelques Puissants transforment au gré de leurs fantaisies tout autant que de leur volonté de réaliser le plus vite possible de faramineux profits. Avec la complicité et le soutien d’un Edile ardent promoteur de l’idéologie néolibérale, convaincu qu’il n’est pas d’autre urgence que de faire table rase du passé, d’en finir avec la classe ouvrière et de ses rêves d’émancipation et d’inventer la caste des plus pauvres que pauvres fort utile aux Médéfieux.

« La nuit de Walenhammes » raconte la violence qui est faite aux damnés de la terre. Cette terre du Nord, terre industrielle, terre des fraternités ouvrières. Entremêlant une description réaliste de la décrépitude et des tableaux oniriques qui constituent autant de brasiers dans lesquels se consument l’ordre ancien. Sous le regard de Lârbi, complice et ami du journaliste, accessoirement chargé de la gestion du patrimoine de la ville et auteur de commentaires acerbes sur l’art et la manière de bâtir un monde prétendument nouveau.

Alexis Jenni dénonce ce monde-là. Sa dénonciation ne manque ni de force ni de personne. Il assortit son propos de superbes pages qui évoquent un temps dont les Puissants voudraient que les traces soient effacées de la mémoire collective. Le temps du partage, le temps du labeur, le temps de la fierté ouvrière, le temps de la solidarité et de la fraternité. Non qu’il présentât ce temps-là comme un temps idéalisable. Non. Simplement comme un temps infiniment moins dur que celui qui s’annonce. Ce que Lârbi exprime à sa façon : « Il faut veiller à garder les pauvres pauvres, tant il est besoin de réduire les coûts. Il faudrait accéder à de nouveaux gisements de pauvres, créer des pauvres à partir de semi-riches vacillants, en les désoccupant, en les désassurant, en les dépossédant. L’idéal serait de ne pas payer le travail : on aurait alors la vraie richesse, la création parfaite de quelque chose à partir de rien. Il faudrait supprimer les lois. Laisser faire la nature, qu’il se crée une multitude de petits animaux féconds, pour une poignée de grands fauves qui s’en nourrissent. »

En dépit de quelques longueurs, « La nuit de Walenhammes » est un roman d’exception qui révèle l’abomination d’un système politico-économique qui réduit l’humain au rôle de figurant, qui le macronise sous le fallacieux prétexte que de l’appauvrissement des pauvres et des moins pauvres naîtra la prospérité, qui détruit la notion de travail et n’offre plus rien d’autre que l’emploi précaire, qui soumet le producteur d’autrefois aux triviales fonctions d’instrument. Un roman qui a enthousiasmé le Lecteur !

« Mon père a travaillé dans l’usine à gaz, moi dans l’usine à coke. L’une de mes filles travaille à la piscine, l’autre élève sa fille. Mais à ma petite-fille, je ne sais même pas si je pourrais lui expliquer ce que signifie le mot travail, tel que je l’ai appris de mon père, de force. Je ne sais pas si je pourrais lui expliquer, et je m’inquiète de ne plus pouvoir employer certains mots devant ma petite-fille, qui m’écoutera sans comprendre et croira que je parle de choses disparues. Pour elle, travail, c’est un mot qui rime avec ferraille, qui lui évoque des activités forcées, pénibles et sales, auxquels se livrent jusqu’à en crever ceux qui y sont obligés. Elle n’aura pas tort, le travail est remplacé par le flux des affaires qui évolue plus vite que l’œil humain ne peut les suivre, le travail est devenu simple esclavage auquel sont assignés les perdants. Le monde que je vois me paraît incompréhensible et détestable. »

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