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Lectures
27 mars 2015

Le démon avance toujours en ligne droite

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« Le démon avance toujours en ligne droite »

PESSAN Eric

(Albin Michel)

 

Eric Pessan n’est pas un inconnu pour le Lecteur. Il se confronta à « Muette », le précédent roman. Il rencontra l’Ecrivain avec lequel il échangea quelques phrases lors de son passage à Montpellier. Il le retrouve de temps à autre parmi les espaces où s’accumulent les fèces de boucs. Mais la fréquentation du « démon » vient de lui donner l’intuition (qui n’est pas une certitude) qu’il assiste à l’émergence d’une œuvre singulière. D’où la surprise qui est sienne lorsqu’il constate du peu de cas qui est fait de ce roman-là dans les colonnes des journaux qui s’essaient, de manière de plus en plus superficielle il est vrai, à relater l’actualité littéraire. Même s’il est loin de les fréquenter tous. La si sèche mention dans « La Quinzaine Littéraire » l’a, par exemple, interloqué. Non que ce « démon » soit exempt de défauts. Mais n’est-ce pas le roman dans sa globalité qu’il s’agit d’apprécier dès lors que l’on s’installe dans les si commodes fonctions de Lecteur ?

D’emblée, Eric Pessan brouille les pistes. Il entraîne son Lecteur à Buchenwald dans une vaine recherche d’un grand-père qui aurait été déporté. Buchenwald où il effleure une bande lycéens français qu’un professeur consciencieux tente d’initier à l’effroyable tragédie. Mais très vite, l’Histoire s’installe en marge du récit. Le narrateur, dont le Lecteur supposa un court instant qu’il était Eric Pessan lui-même, est en quête d’une autre histoire, sa propre histoire. A peine rentré d’Allemagne, il accomplit un autre voyage qui le conduit à Lisbonne. Lisbonne où se sont perdues les traces de son père. Lisbonne qui devient le théâtre de ses errances faites de rencontres fortuites, d’une quête quasiment désespérée de celui qui avait disparu sans fournir ni explication ni justification. Narrateur mais aussi écrivain, il accumule sur ses carnets une multitude de notes destinées à fournir l’aliment à ce qui s’éparpille mais ne s’écrit pas vraiment. Le Lecteur n’a jamais cessé d’accompagner le Narrateur dans les profondeurs de la capitale portugaise, retrouvant à travers lui des images du film de Wenders (auquel Eric Pessan fait référence) « Lisbon story ». Un Narrateur qui a enfoui en lui les stigmates de la pesante présence des femmes qui l’élevèrent, qui les exhume un à un au cours de ses errances. Celle de la grand-mère (l’épouse de l’aïeul qui jamais n’avait disparu à Buchenwald). Celle de la mère. L’une et l’autre n’ayant jamais cessé durant son enfance de le persécuter en lui transfusant leurs propres obsessions. La lâcheté, la veulerie des hommes, leur aptitude constante à la trahison. Au point que le Narrateur a tout ingéré et qu’il s’avère incapable de vivre jusqu’en ses ultimes conséquences son amour pour Mina, jeune femme lumineuse qui affirme son désir de leur construire un destin commun.

Voilà donc un beau roman qui ne déclame pas, qui ne tranche de rien. Voilà un beau roman qui décrit la difficulté d’être parmi tous les détritus, tous les décombres qui sont laissés en héritage. Un roman comme un accélérateur d’une œuvre en devenir ? Puisse l’intuition du Lecteur lui donner raison.

« Vacillant, j’arpenterai les rues en marmonnant quelques mots, puis, prenant goût à cette consolation et remarquant que cela ne change rien à l’indifférence de la foule, je hausserai le ton, discourant enfin, crachant ce qui alourdit mon cœur, rejouant d’anciennes conversations, revivant des disputes, racontant l’austérité de ma grand-mère, mon incapacité à pleurer le jour de sa mort, les mensonges confus de ma mère, mon voyage à Buchenwald, le soir où Mina m’a regardé dans les yeux et m’a demandé – avec un sourire magnifique – de lui faire un enfant…. »

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