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Lectures
3 décembre 2012

Némésis

roth

« Némésis »

ROTH Philip

(Gallimard)

 

Le roman des adieux ? Si l’annonce faite par Philip Roth se confirme, le Lecteur n’est pas prêt de refermer celui-ci : « Némésis » est (serait ?) le dernier roman de l’écrivain américain. Une quarantaine d’années de fréquentation assidue, cela compte dans une vie. Cela compte d’autant plus qu’à ses yeux, Roth est un écrivain majeur, l’un des quelques ceux vers lesquels il revient régulièrement. Et ceux-là ne sont pas légion (mais il rédigera sous peu une chronique sur ses relations avec les écrivains).

« Némésis » s’inscrit dans les œuvres majeures de Philip Roth. Le Lecteur tient à l’affirmer d’emblée. Il pourrait s’essayer à établir un parallèle entre ce roman-ci et « La Peste » de Camus. Mais la tentative relèverait de ces facilités intellectuelles auxquelles se sont livrés quelques critiques franchouillards. Même si chez Roth, c’est également une épidémie qui exerce ses ravages, pour l’essentiel chez les enfants et les adolescents de Newark, ville natale de l’écrivain. Une terrible épidémie de polio. En 1944. C’est-à-dire en cette année où la seconde guerre mondiale approche de son achèvement, une guerre qui pour la jeunesse américaine se mène sur deux théâtres : celui du Pacifique et celui de l’Europe. Or le personnage central, Bucky Cantor, fut réformé alors que ses plus proches amis étaient, eux, intégrés dans les armées yankees. D’où sa frustration, d’où le sentiment diffus de désertion qu’il tente de surmonter dans un engagement de tous les instants dans l’animation des activités sportives destinées, durant les vacances scolaires, aux jeunes du quartier où il réside. Lui, le sportif accompli, haltérophile, lanceur de javelot et plongeur émérite n’a de cesse que de les conduire à se sublimer. Jusqu’à ce jour où la polio fait son apparition, lorsqu’elle atteint des gosses qui s’étaient investi en lui. Jusqu’à ce jour où des parents s’en viennent lui réclamer des comptes. Est-il ou n’est-il pas le vecteur du Mal ? Lorsque celui-ci se généralise, et sur les conseils du père de son amie, médecin de son état, il fuit vers un camp de vacances en Pennsylvanie où il reprend ses activités d’animateur sportif. Une nouvelle désertion qu’il peine à assumer, qu’il se reproche. Mais le Mal n’en a pas fini d’exercer ses ravages. Il s’installe dans le camp et s’en prend à d’autres adolescents jusque là préservés. Avant que de terrasser Bucky Cantor.

Une guerre, en parallèle à l’autre guerre. Dans son terrible bilan, d’autant plus terrible que ce sont de jeunes vies qui sont affectées. « Car il s’agissait là aussi d’une vraie guerre, une guerre de massacre, de destruction, de saccage, de malédiction, une guerre avec les ravages de la guerre – une guerre déclarée contre les enfants de Newark. » Une guerre qui affecte les quartiers juifs de la cité, une guerre qui fait renaître des comportements primaires, en ces temps où l’armée américaine progresse vers les frontières du Reich, là où l’abomination se perpétue. « Les antisémites disent que c’est parce que ce sont des Juifs que Weequahic est le centre de la paralysie, et c’est la raison pour laquelle il faut les isoler. Certains semblent penser que la meilleure solution pour se débarrasser de la polio serait d’incendier Weequahic, avec tous les Juifs dedans. » S’en suivent des pages somptueuses dans lesquelles Philip Roth s’en prend à tous les obscurantismes, aux adorateurs du dieu qui n’est rien d’autre qu’un « pervers timbré ». La verve de l’écrivain est intacte. Elle donne vie à une fable qui conduit celui qui s’y confronte à s’interroger sur lui-même : à quel moment de ma vie, face à des choix majeurs, ai-je choisi la fuite et la désertion ?

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