Un roman étranger aux centres d’intérêt du vieux Lecteur. Une histoire qu’il a l’impression d’avoir lue dans un passé très lointain. Celle de l’enfant perdue qui trouve refuge dans une communauté villageoise réduite et soumise à l’emprise de nobliaux violents et cruels. Une enfant qui trouvera sa place au sein de cette communauté, adoptée par une femme qui est privée de la possibilité de devenir mère.
Un roman dont il est sans doute normal qu’il ait été remarqué par le jury du Goncourt des lycéens…
Pas la meilleure des productions de Franz Bartelt. Mais qui se lit le sourire aux lèvres, ponctuée de trop rares moments de vraie rigolade. L’histoire abracadabrante de la famille Laboume dont le fils, Youpe, débarque dans la classe de Melle Cochon. Là où Youpe fait la connaissance d’Emile Cacasse, élève sérieux avec lequel il va nouer une solide amitié. Laquelle amitié les entraînera dans de folles aventures dont les singeries, qui semblent être le lot commun à toute la famille Laboume.
Une lecture de vacances, à l’ombre d’un olivier de Balagne. Agréable. Divertissante. Même si le vieux Lecteur attend beaucoup plus du Résident de Nouzonville.
La vieille maman quasiment impotente. Qui s’en vient chercher la rémission en Espagne, dans une clique dirigée par un toubib aux méthodes thérapeutiques pour le moins douteuses. La fille de la vieille maman qui, au-delà de l’accompagnement de sa génitrice, fréquente la plage et se baigne dans une mer infestée de méduses. La fille qui s’éprend d’une touriste allemande, après avoir résisté tant bien que mal aux tentations ordinaires auxquelles sont confrontés celles et ceux qui fréquentent en été ces lieux de délices. « Peut-être a-t-il pris dans ses filets une femme aussi enchanteresse que ces jeunes filles, bien dans leur corps, qui démêlent les nœuds de leurs cheveux mouillé. Il est déjà pris mais veut l’être à nouveau. C’est une chasse. Le seul genre de chasse où la proie veut que ses prédateurs le taillent en pièces. »
Un monde clos où les prédateurs circulent en toute impunité. Dans un roman à l’écriture sèche, aussi sèche que l’est la peau de l’héroïne après de longues heures d’exposition au soleil. Un roman qui se lit, c’est vrai. Mais qui s’oublie aussitôt après qu’il ait été refermé.
C’est au lendemain du visionnage d’un film diffusé sur ARTE, un film qui relate le long et patient travail de l’Ecrivain Truman Capote sur un crime commis dans le Kansas que le vieux Lecteur prit la décision de retrouve De sang-Froid. Retrouver, puisqu’une première rencontre s’était produite avec cet ouvrage vers le mitan des années 1960 (ouvrage qui a disparu des rayonnages de la bibliothèque du vieux Lecteur, quand et dans quelles circonstances, il l’ignore, mais une disparition qui l’a contraint à l’achat de l’édition ci-dessus mentionnée). Le film avait réveillé en lui des souvenirs de ce que fut cette première rencontre d’un texte que Truman Capote définit comme un récit véridique d’un meurtre multiple et de ses conséquences.
Des retrouvailles passionnantes ! Le sentiment, certes diffus, que le bouquin n’a pas pris une ride, qu’il se situe à la hauteur de l’enthousiasme qu’il avait suscité voilà près de soixante ans chez un jeune Lecteur d’un peu plus de vingt ans. Une dramaturgie maîtrisée qui ne laisse aucune place aux effets « sanguinolents » communs d’ordinaire dans ce genre d’ouvrage. Un ancrage réussi dans les réalités sociales, politiques et culturelles des Etats-Unis de ces années 1960. L’art de donner chair et consistance à tous les protagonistes : les quatre victimes, leurs proches, les meurtriers, les enquêteurs, les juges. Rien de superflu. Rien d’inapproprié. De sang-froid est une réussite littéraire hors norme. Un récit qui se conclut par une sorte de plaidoyer contre la peine de mort, peine capitale à laquelle les deux meurtriers furent condamnés par un tribunal du Kansas.
Un des grands chocs qui bouleversa, en ce mitan des années 1960, un Lecteur avide de découvertes.
Un texte qui ne pouvait qu’émouvoir le vieux Lecteur qui fut un cinéphile passionné. Un texte dont l’Auteure a choisi de l’amorcer avec une brève citation de John Cassavetes (« Il y a quelque chose d’important chez les gens, quelque chose qui se meurt – les sens, une chose universelle. Nous ne pouvons pas nous accorder sur la politique, mais peut-être pouvons-nous nous accorder sur nos sens. Nous mourons de tristesse. Le monde entier meurt de tristesse. Nous sommes l’ennemi. ») Esther Kinsky raconte une aventure vécue : la tentative de faire renaître une salle de cinéma dans une petite ville hongroise. Avec peu de moyens, mais portée par la foi du charbonnier. Et de rares soutiens, de ces gens que l’on appelle des bénévoles. De vieux films, souvent dans un piteux état. Mais qui sont des jalons d’une histoire vieille de quelques décennies. Un texte écrit avec une grande économie de moyens, un texte qui a ému le vieux Lecteur (lui qui s’est tout-à-coup souvenu, au fil de sa lecture, d’une salle d’autrefois, une salle abandonnée, dans une bourgade de l’ancien bassin minier, à Saint-Gervais-sur-Mare). Un texte à découvrir. Qui laisse par ailleurs découvrir la Hongrie post-communiste et effleure ce que fut le cinéma de ce pays riche en talents (Jancso, Meszaros, Szabo…). Un texte dont sourd une nostalgie de ce que furent autrefois les salles de cinéma, lieux de convivialité, de sociabilité, de découverte des autres mondes.
« Fin septembre nous fermâmes le cinéma. Joszi, Ljuba et moi, nous nous promîmes que ce ne serait que pour l’hiver mais chacun à part soi, nous savions que ce n’était pas une histoire de gel, de neige et d’absence de chauffage. Le cinéma en tant que plaisir privé ne fonctionnait pas, la salle ne s’emplissait pas des invisibles fils de regards différents, le grand espace délaissé était sans cesse rattrapé par une désolation qui s’avéra être, au bout du compte, une inconsolation. L’inconsolation de l’abandon… »
Au sein de sa collection « Bibliothèque allemande », Métailié poursuit l’édition (et parfois la réédition) d’Ecrivains qui œuvrèrent en RDA, l’autre Allemagne aujourd’hui intégrée à l’insu de son plein gré à la RFA. Ici, avec le roman de Brigitte Reimann, Une fratrie, il s’agit de la toute première traduction d’un roman qui fut publié en cette RDA en 1963. Le vieux Lecteur avait alors 21 ans, et il ne garde aucun souvenir des débats que cet ouvrage suscita dans les deux Allemagne. Alors même qu’il s’intéressait, via la presse propre à chacun des deux pays, au peu qui lui eut permis de mieux comprendre ce qui se passait là-bas.
Publié en français en 2025, le roman de Brigitte Reimann est historiquement daté. Rien qui n’ait pu surprendre le vieux Lecteur. Ce qui n’induit nullement que Une fratrie serait indigne d’intérêt. Bien au contraire ! Ce roman-ci éclaire les affres que vécurent celles et ceux qui, au début des années 1960, s’essayèrent à fuir l’enfer du socialisme réel et tentèrent de trouver une place à la hauteur de leurs compétences dans le paradis capitaliste, la RFA. Deux frères et une sœur. Un frère, l’ainé, déjà installé en RFA. Puis le cadet qui, à son tour, révèle a sa sœur que, lui aussi veut quitter l’enfer pour le paradis. Sans rien renier, sur le fond, à ses convictions. Brigitte Reimann fait vivre et penser une petite société de privilégiés (études, emplois hautement qualifiés) à l’intérieur de la grande société socialiste. Dont elle éclaire les tares, les insuffisances, les manquements à l’idéal fondateur de la république. Dont elle dépeint la violence sous-jacente non seulement à travers l’appareil d’état (la trop fameuse STASI), mais aussi dans les relations entre celles et ceux qui y croient encore et celles et ceux qui n’y croient plus. Donc un roman utile, éloigné des caricatures qui aujourd’hui encore donnent à voir une RDA conforme à ce qu’exige l’idéologie dominante.
Retrouvailles. Dans le cadre familier d’un village de Balagne. Retrouvailles réjouissantes. Celles d’un vieux Lecteur qui n’avait pas fréquenté Maryse Condé depuis bien longtemps. Comme si la littérature antillaise ne se concentrait qu’autour des quelques Ecrivains dont il est fait mention dans ce blog (Glissant, Césaire, Chamoiseau…). Alors qu’il est une Femme d’écriture qui l’enthousiasma à l’orée de ce siècle avec le roman dont il est ici question, Célanire cou-coupé. Un enthousiasme aujourd’hui intact, semblable, identique à celui qui le transporta voilà sans doute un bon quart de siècle.
Maryse Condé, c’est une écriture somptueuse, une écriture qui conjugue l’art du roman et celui du conte. Une écriture qui se nimbe d’une palette de toutes les couleurs. Pour faire vivre (et mourir) ses personnages, comme pour peindre les paysages, qu’ils fussent ceux de la Côte d’Ivoire, du Pérou ou de la Guadeloupe. Une écriture qui s’arme d’ergots pour signifier au vieux Lecteur ce que furent l’esclavage (et la traite des esclaves), la colonisation ou l’exploitation capitaliste des terres colonisées...
Célanire incarne ce que les foutriquets d’aujourd’hui appellent « la capacité de résilience ». Maryse Condé avertit d’emblée ses Lectrices et ses Lecteurs. « Cette histoire est inspirée d’un fait divers. A la Guadeloupe, en 1995, un bébé fut trouvé, la gorge tranchée, sur un tas d’ordures. Les imaginations allèrent bon train à travers le pays. La mienne, comme les autres. »
D’imagination, Maryse Condé n’en manque point. Le vieux Lecteur en fut tout émervouillé ! Un quart de siècle après sa première découverte du roman. C’est tout dire ! Et c’est déjà beaucoup…. Surtout lorsque sont posées les questions que dérangent les sociétés occidentales. « Pourquoi l’humanité s’était-elle écartée de ces matins du monde ? Pourquoi les nations prédatrices avaient-elles voulu découvrir d’autres terres ? Les conquérir, les coloniser, c’est-à-dire les détruire ? »
L’étrange impression de ne pas toujours retrouver la romancière sarde à laquelle le vieux Lecteur s’était habitué. Comme si Milena Agus s’était lancée dans une autre aventure littéraire. Qui n’est peut-être pas une négation de la précédente. Mais qui s’en éloignerait suffisamment pour désorienter le vieux Lecteur ?
Reste toutefois le plaisir de fréquenter des personnages très attachants. Dont, et en tout premier lieu, Cosima, adolescente bousculée par ses rêves. Cosima, lycéenne à Cagliari, qui chaque fin de semaine, s’en revient chez son aïeule, en ce monde rurale où ses rêveries atteignent à leur apogée. Un roman à ne pas négliger, à observer avec curiosité. Même si (voir plus haut)…
« Je compte pour rien ma vie. Ne va-t-elle pas disparaître en moins de temps qu’il ne faut à l’oiseau pour s’arracher à la branche ? Je compte pour rien ma vie, mais pas le souffle qui la porte, l’architecture du souffle dans la nef de la cage thoracique. Ce peu d’air renouvelé à chaque seconde. Cette berceuse mise dans la chair. Tel est l’abri du dieu dont notre vie est l’haleine, et nos cimetières la crise d’asthme. »
La toute première rencontre avec Christian Bobin. Le tout premier émerveillement. Le poète décéda en 2022. Le vieux Lecteur s’interdit de feindre une éternité qui ne serait pas la mer allée avec le soleil. Sa découverte si tardive du Poète tient du prodige. Elle lui impose de s’immerger dans une œuvre dont pour l’instant il n’a apprécié que l’ultime élément. Le temps lui presse.
Un manuscrit de Jean Giono retrouvé par hasard. Egaré depuis plus de quatre-vingt-cinq ans parmi les amas de papiers (non répertoriés ?) qui singularisent les Archives nationales. Un manuscrit confisqué et jamais rendu à leur Auteur après qu’en décembre 1940 la justice de ce qui n’était plus la République mais une machinerie à la solde des nazis s’en soit emparée. (En annexe, un texte relate les conditions de la confiscation.). Un manuscrit passionnant pour le vieux Lecteur qui n’a jamais cessé depuis septante ans d’aller à la rencontre des œuvres de l’Homme de Manosque, à ses yeux un des plus importants Ecrivains qu’il lui fut jamais donné de fréquenter.
21 juillet 1939. Jean Giono quitte Saint-Dizier en Diois pour un périple de sept jours à travers la Haute Drôme. Son objectif : accumuler des notes pour l’écriture d’un roman auquel il a commencé à penser (mais qu’il n’écrira qu’une dizaine d’années plus tard), dont il fait mention une fois dans ces notes et qui s’intitulera Les grands Chemins. Jean Giono est un marcheur, un vrai de vrai, qui transporte son barda, qui cuisine avec le peu dont il dispose (tomates, oignons, jambon malheureusement trop salé…), qui peut dormir à la dure, mais sait aussi, lorsque les circonstances l’y contraignent, passer une nuit dans la chambre d’un modeste hôtel rural. Jean Giono aime croiser des gens, des inconnus, hommes, femmes, enfants, dont il est possible qu’il leur redonne vie sous les traits de l’un ou l’autre des personnages qui peupleront peut-être le roman à venir.
Jean Giono est un gourmand et un gourmet. Ce qu’il cuisine l’indispose en raison du jambon trop salé. Qu’importe. Ses pas le conduisent jusqu’à une hôtellerie où un cuisinier lui mitonnera des plats qui le raviront. Luc-en-Diois ? « Hôtel. Truite qui est une admirable merveille, puis une bouteille de clairette-de-die et je monte raide comme un lord des escaliers étranges avec des ponts, des passerelles de bateau, des garde-fous surplombant des abîmes… » Valdrôme. « Le repas d’hier soir m’a coûté dix francs, la chambre dix et la saucisse cuite était faite à la maison, énorme comme une andouille avec une odeur farouche délicieuse et protestante. L’antagonisme des deux mots n’est qu’apparent. Mis ensemble je n’en connais pas de plus justes pour désigner l’odeur et le goût de cette saucisse. »
Dans leur ensemble, ces notes sont un ravissement. Le vieux Lecteur a suivi Jean Giono sur les routes de la Haute-Drôme, emprunté des cars brinquebalants mais capables de transporter le linteau sculpté que l’Ecrivain a acheté à un paysan réticent du côté de Rosans. Des notes auxquelles se greffent des commentaires souvent succincts dont l’ordonnancement permet de bien comprendre ce que furent les intentions de l’Homme de Manosque. Un petit bouquin qui est bien plus qu’un accessoire, un petit bouquin qui s’intègre sans avoir à forcer dans l’œuvre monumentale qu’a laissé Jean Giono.