« Le livre de Petru »

FERRANTI Marie

GUELFUCCI Petru

(Gallimard)

La Corse. Qui se fait entendre ici par deux voix convergentes. Dans ce qui pourrait être une paghjella, longue, certes, mais beaucoup moins douloureuse qu’il n’y paraît à prime abord. La voix d’une Romancière, Marie Ferranti, que le Lecteur fréquente assidument depuis ce jour où il découvrit un premier texte (publié déjà chez Gallimard), Les femmes de San Stefano. Et un Chanteur doublé d’un Militant, Petru Guelfucci, lequel Petru Guelfucci s’était produit à Montpellier en février ou mars 2017, lors d’un concert qui avait passionné le Lecteur. Une voix d’exception capable de conférer à la langue corse de fabuleuses vibrations. Petru Guelfucci, un homme de bien. Duquel il a beaucoup appris sur l’Île Singulière.

« Entre Petru et moi, une espèce de paysage mental commun se bâtit lentement. J’écoute sa voix qui me raconte les chants, la poésie, les gestes des paysans qu’il a appris en les regardant. Il parle et j’écris ? Par fragments j’essaie de reconstituer le roman de sa vie.

Comme à son témoignage sont mêlés des extraits de textes, une espèce de journal, des chansons, des poèmes, des histoires variées et des souvenirs, et ce, dans plusieurs langues, les éléments d’interrogation sur l’objet de mon propos ne manqueront certes pas, mais le lecteur saura bien les résoudre assez vite. Les mystères ne sont jamais se grands qu’on le croit. »

Voilà, explicitée par Marie Ferranti, la Romancière, la problématique qu’elle portait dans une connivence totale avec Petru Guelfucci, le Chanteur. Puisque c’est elle qui tint la plume. Puisque c’est elle qui est la survivante, le Chanteur étant décédé voilà bientôt deux ans de cela. Elle qui jusqu’au bout aura œuvré à la réalisation du projet commun, la tentative ô combien passionnante de conférer un avenir à la langue corse, en adossant ce combat-là à celui pour l’autonomie/indépendance d’un pays, la Corse, soumis au joug colonial depuis le milieu du 18° siècle.

Marie et Petru ont donc initié au fil du temps un dialogue « éclairant » sur les enjeux des processus en cours, ceux-là même qui sont dissimulés et caricaturés dans les organes des propagandes officielles. Un combat aux dimensions politiques, certes, mais aussi culturelles. (Si tant est que ce qui relève du culturel soit dissociable de ce qui relève du politique.) Un combat à l’issue incertaine. Tout au moins dans le court terme. Comme tout combat opposant deux légitimités : la légitimité de la violence institutionnelle (celle dont use et abuse l’Etat français) et la légitimité de l’intelligence du cœur et de la beauté (que Marie et Petru donnent à voir non seulement dans ce texte mais aussi dans tout ce qui caractérise leurs carrières respectives).

Le Vieux Lecteur écoute Marie Ferranti. « Dans l’écriture, je cherche les vibrations, les modulations, l’écho de ce corse comme une pâte qui envelopperait la couleur de l’autre langue. Sotto voce, il y a toujours ce son, étranger à la langue française, qui sourd, ce murmure ancien de cette langue maternelle presque oubliée, cette musique qui s’immisce dans la langue française. Il y a toujours ce palimpseste de langues, cette nostalgie de la langue perdue. C’est pourquoi j’ai trouvé en Petru un alter ego. »

En écho, Petru Guelfucci répond : « Prendre soin des autres, en avoir le souci, c’est aussi prendre soin de la langue, il me semble. La faillite d’un mode de vie, c’est aussi la faillite d’une langue. Perdus les gestes, perdus les mots. La pauvreté de la pensée actuelle s’explique peut-être aussi par la passivité, l’incurie généralisée, le mépris de ce qui n’est pas semblable à soi et l’incuriosité pour ce qui est différent de soi. »

Le livre de Petru

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