« Peste et choléra »

DEVILLE Patrick

(Seuil)

Pas enthousiasmé, le Lecteur. Mais pas très loin tout de même de l’être par ce court récit si incisif, nerveux, qui ne laisse point le temps de souffler et qui porte en lui comme des nostalgies de ces temps lointains où le rêve ne se réduisait évidemment pas à l’accumulation de quelques lingots d’or dans une banque suisse. Ces temps où Pasteur et ses condisciples, l’œil rivé à leurs microscopes, découvraient, outre celui de la rage, les vecteurs de la peste et du choléra. Mais aussi les remèdes afférents. Parmi ces condisciples, un certain Alexandre Yersin, plutôt demi-suisse d’extraction, pas vraiment français, et qui aurait même pu devenir allemand si ?. Qui s’attaquera, lui, à la peste et au choléra, ces deux maladies qui vous décimaient des populations en moins de temps qu’il ne faut pour écrire ces deux mots-là. Alexandre Yersin, en rupture avec l’Institut, tant il éprouve le besoin de vivre en homme libre, mais qui accepte tout de même de mener à bien les missions que lui confie le dit Institut. Mais qui, installé au Viêt-Nam, se lance dans d’autres aventures, plus rentables celles-là, comme à l’insu de son plein gré. La culture de l’hévéa, entre autres. Ce Viêt-Nam où Alexandre décède à un âge vénérable, en cette année où il n’est pas encore certain que la Seconde Guerre Mondiale ait basculé du bon côté des choses.

Patrick Deville, en deux cents et quelques pages, restitue certains des moments les plus nobles de l’histoire d’une France qui croit encore que le progrès ne connaîtra ni limites ni contraintes. « Bientôt tout cela sera très clair, il suffira d’expliquer, d’enseigner, de reproduire les expériences ». Le point de vue positiviste qui prévaut à la fin du 19° siècle. En ces années où sous la houlette de Jules Ferry, l’école devient tout autant gratuite qu’obligatoire, mais où, dans le même mouvement s’amplifie la colonisation d’un gros morceau de l’Afrique et d’une partie de l’Extrême Orient. Dans ce mouvement-là, Alexandre Yersin reste un rêveur. « Je considère la médecine comme un sacerdoce, ainsi que le pastorat. Demander de l’argent pour soigner un malade, c’est un peu lui dire la bourse ou la vie. »

Le Lecteur ne reprochera pas à l’Ecrivain les rapprochements entre les destinées de Yersin et de Rimbaud. Nous sommes dans le domaine de la littérature que diantre ! « … les chaleurs atroces et la soif, c’est aux femmes qu’on les dira, à la mère et à la sœur sédentaires qui jamais ne quittent la Suisse ni les Ardennes, en occultant le prénom, signant brutalement, comme des pères, l’un Rimbaud l’autre Yersin. » Car Yersin, lui aussi, explore, des territoires que le conquérant franchouillard a jusque-là ignoré, au point de quasiment y laisser sa peau. Mais à la différence de Rimbaud, Yersin vivra vieux. Jusqu’au mitan donc de la Seconde Guerre. Ce qui lui vaudra d’apprendre ce qu’il advint de Joseph Meister. « Lorsque les premiers Allemands se présentent à l’Institut, en cet été quarante, peu après le dernier départ de Yersin, ils demandent à visiter la crypte où repose Pasteur. Le vieux concierge, Joseph Meister, le premier homme sauvé de la rage, leur en interdit l’accès. Les soldats le bousculent, l’écartent. Les officiers pénètrent dans la crypte. Le vieil Alsacien se suicide dans sa loge avec le pistolet rapporté de la guerre de quatorze. »

Chapeau bas, Monsieur Deville.

Peste et Cholera, Patrick Deville

Peste et Choléra

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