« Le tour de l’oie »

DE LUCA Erri

(Gallimard)

« J’ai un corps et j’ai joué au jeu de vivre dedans.

Quel jeu ? Le jeu de l’oie. On lance un dé et on se déplace dans un circuit en spirale. »

Voilà qui éclaire une part non négligeable de ce livre qui réconcilia le Lecteur avec Erri De Luca. L’affaire banale, somme toute, de la mort et de ce qui peut éventuellement s’en suivre, l’héritage. Le vieux Lecteur, lui aussi et à l’instar de l’Ecrivain, ne réclame rien et ne dispose de rien.

(Une fâcherie. Que le Lecteur savait provisoire. Qu’il surviendrait un autre texte, après le texte qui l’irrita voilà un an de cela. Ce qu’il consigna dans une note qu’aujourd’hui il ne renie toujours pas. Dont il ne fit pas une affaire d’état. Les liens anciens avec l’Ecrivain ne s’étaient, en aucune manière, corrompus.)

L’Ecrivain. Sa rencontre nocturne avec le fils qu’il n’a pas eu. Dans la maison où l’Ecrivain vit seul. Si loin d’une autre maison, la maison natale, du côté de Naples celle-là. Le livre s’ouvre par un monologue. Les mots de bienvenue destinés au fils qu’il n’a pas eu mais qui pourtant s’est installé en face de lui. Les mots de l’improbable reconnaissance, de l’identification. « Je te parle à toi ce soir qui n’est même pas celui-ci. C’est un soir./ Toi, tu es là, plus vrai, plus proche et consistant que le plafond. Je te parle à toi et non à moi-même./ Je le sais parce que avec moi je parle napolitain. »

Et puis s’imposent d’un coup d’un seul les longs moments du dialogue ponctués de réflexions plus que de questionnements. Le bilan d’une vie, celle de l’enfant que l’Ecrivain n’a pas eu, qu’il reconstruit au fil de ses interventions. Quand l’Ecrivain, lui, ne revendique pas l’éternité et semble se suffire de l’instantanéité des mots qu’il greffa les uns aux autres, ceux que le Lecteur, parmi tant d’autres Lecteurs, s’appropria et se délecta si souvent.

En fait ? Un beau texte, un texte bouleversant enrichi des contradictions propres à ceux qui ont vécu, qui vivent de et dans la Littérature.

« Je sais que tu as un sacro-saint respect des livres, que tu ne te permets pas de corner une seule page.

Tu dis que c’est un privilège d’en poser un sur ses genoux et de le parcourir.

Tu dis que beaucoup de gens, des multitudes même, ne peuvent le faire et n’imaginent pas ce qu’est un livre.

Tu dis que je ne mérite pas d’en avoir un peu partout dans la maison au point de ne pas réussir à trouver ceux que je cherche.

C’est vrai, j’aime bien faire le tour de mes étagères, même un tour à vide, et abandonner sans avoir trouvé.

Je respecte ceux qui ont des livres bien rangés. Moi, je les laisse en désordre, au hasard de mes lectures.

C’est ce qui arrive aussi aux amours. Tu les gardes bien en ordre ?
J’ai au moins réussi à te voler un demi-sourire. »

Le tour de l'oie

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