« Querelle »

LAMBERT Kevin

(Le Nouvel Attila)

Un choc. D’une violence salutaire. Le roman de l’an 2019, celui sur lequel le Lecteur s’est longuement arrêté. Un roman qui s’en est venu de la Belle Province, un roman dont le Lecteur ignore s’il a trouvé sa place dans les recoins littéraires de la Vieille France, mais qui l’a bouleversé, lui, le vieux Lecteur. Un prodigieux roman sous-titré « Fiction syndicale ». Tant il est vrai que seule la Fiction parvient à s’emparer du réel et à lui conférer une puissance hors du commun.

Le réel fictionnel ? Le Québec. « Les glaces s’éternisent sur le lac Saint-Jean, les voitures passent vite sur la 169, le vent de décembre est pas commode, impitoyable, tu mettrais pas un chien dehors. » Une scierie. Un conflit patrons/salariés. La grève. Dans la durée. Plus d’un an. Le repli dans la défense de l’outil de travail. Violence sous-jacente. Celle des patrons et des exaltés du néo-libéralisme. Et celle prolétaires poussés en leurs ultimes retranchements. La lutte des classes reflétée dans une sorte de reportage à la mode Arte. Sauf que ce roman-ci est peuplé de personnages fascinants. A commencé par Querelle, un prolo qui n’en a pas l’air, un prolo venu de la ville. Le « héros » moderne par excellence, continuateur, à sa manière, des personnages de Genet. Querelle qui confère au récit l’élan sexuel, celui qui transgresse les tabous pour atteindre à une liberté sans contrainte susceptible de rejaillir sur le combat des prolétaires. Une homosexualité qui ne se justifie pas, qui est ce qu’elle peut-être, en sa beauté et sa force animale.

Et puis, en contre-point, Jézabel. Beaucoup mieux qu’un double féminin de Querelle. Une rebelle, en quête elle aussi d’une liberté pleine et entière que la société dans laquelle elle survit lui refuse. Jézabel qui ne veut rien céder, qui ne cédera rien.

Donc ce roman. Qui enchevêtre les genres. Qui feint de s’engluer dans une relative et bienveillante neutralité objective en laissant la parole à chacune des parties. Patrons et salariés. (Dont le vieux leader syndical qui s’efface progressivement dans un univers qui n’est plus fait pour lui.) Un roman qui fera date, le Lecteur en est convaincu.

« Plutôt que de les abattre, les vacheries de Ferland (le patron de la scierie), les arrestations, les amendes en ont galvanisé certains. On sait que ses manœuvres sont criminelles. On sait aussi qu’il est pote avec la police et le ministre libéral, que c’est à cause de ça que les médias prennent son parti. Que le monde dans lequel on vit est tordu en crisse. Jézabel s’en est fait raconter souvent des grèves, elle sait comment ça se passe d’habitude, elle sait qui si on suit les règles on va pas réussir à gagner quoique ce soit. Pour l’instant, on utilise juste les moyens que le patronat à mis à notre disposition pour se battre contre lui ; on réussira jamais à le mettre à terre si on joue la partition qu’il a écrite pour nous. »

Querelle

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