« Kanaky »

ANDRAS Joseph

(Actes Sud)

« Nul ne vit jamais au-dessus de la mêlée : ne pas choisir est un choix, ne pas trancher un geste, ne pas prendre position un parti. Nul jamais n’écrit le cœur sec, scribe sans affects, greffier hors les murs, mains propres et conscience claire de l’humaniste : la neutralité est l’autre nom de la collaboration. »

Le Lecteur partage cette manière d’être.

Sa première rencontre avec Joseph Andras l’avait bouleversé : le récit de la mise à mort par l’état français de Fernand Iveton (mise à mort paraphée à l’époque par un certain François Mitterrand, ministre de l’intérieur du gouvernement Guy Mollet), ce « français » d’Algérie, ouvrier de son état, qui avait choisi de militer contre le colonialisme.

Cette seconde rencontre a produit les mêmes effets, des effets amplifiés par l’âpreté et la densité du récit. Joseph Andras brosse dans cet ouvrage le portrait d’un autre militant anticolonialiste, un Kanak, Alphonse Dianou. Donc la Nouvelle Calédonie, terre soumise au nom du sabre et du goupillon en 1853. Un peuple assujetti, dominé, humilié, spolié, à la culture confinée et promise à l’anéantissement.

Alphonse Dianou ? Un Kanak. Qui se destine à la prêtrise. Mais qui hésite, prend du recul, et s’engage du côté des indépendantistes. Charismatique, il devient un leader. Plutôt tourné vers la non-violence. Mais s’interrogeant sur l’efficacité de cette non-violence dès lors qu’il s’agit de se confronter à la puissance coloniale qui use, elle, de la violence qu’elle prétend légitime pour assurer la survie de son système. En avril 1988, le groupe dont Alphonse Dianou est le leader décide l’occupation d’une gendarmerie afin de mieux faire connaître ses revendications à l’opinion publique. Mais l’affaire tourne mal. Elle se conclura la veille du second tour de l’élection présidentielle (celle qui verra l’élection de Mitterrand face à Chirac) dans la grotte d’Ouvéa par une opération militaire dont le bilan laisse songeur : vingt un morts, dont dix-neuf Kanak (dont Alphonse Dianou)

Joseph Andras s’est rendu en Nouvelle-Calédonie près de trente ans après ces tragiques évènements. Pour enquêter. Pour tenter de comprendre les ressorts et les motivations qui poussèrent un jeune indépendantiste à s’engager (et donc à engager ses proches) dans une action mal préparée, donc mal maîtrisée. Au fil de ses rencontres et de ses dialogues se précise le portait de celui vers lequel se tourne, à juste titre, ses sympathies. Les contradictions inhérentes à ce genre de situation ne peuvent constituer un dossier à charge que ceux que Chirac, Pons et consorts qualifièrent de terroriste.

Mais il est impossible de ne pas voir, sauf à s’aveugler, ce qui dans ce récit lui fournit son ossature tout autant que sa substance : une condamnation sans partage du colonialisme. Sue ce sujet qui reste toujours tabou en France, celui des guerres coloniales, celui de la spoliation des peuples colonisés, celui de la terreur exercée à leur encontre, Joseph Andras accomplit une œuvre salvatrice.

« Les socialistes français, poursuit-il, ceux que l’on dit de gouvernement, libéraux ou sociaux-démocrates en veston, n’ont « jamais été clairs sur la question coloniale – euphémisme serais-je tenté d’ajouter : d’Albert Bayet, contant fleurette et voies ferrées au maintien du bagne de Poulo Condor sous le Front populeire, du massacre des grévistes tunisiens du bassin minier de Gafsa sous l’autorité de Blum à la SFIO défigurant une Algérie où Mendès France souhaita tripler les effectifs des troupes et des CRS, des organisations progressistes saluant par télégramme la répression des insurgés malgaches à Auriol s’extasiant d’une œuvre coloniale « tellement grande » qu’il n’entendait point que Ferhat Abbas pût rêver à autre chose, de Mitterrand signant la décapitation de l’ouvrier pied-noir Fernand Iveton puis approuvant la guerre du Golfe aux côtés du régime nord-américain à Hollande chantant sans détour son « amour » à Benyamin Nétanyahou, il semblerait que les réformistes de gauche nourrissent quelque passion, chevillée à leur corps parlementaire, pour la chicotte. »

Kanaky

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