« Capital et idéologie »

PIKETTY Thomas

(Seuil)

La lecture de cet ouvrage relève d’abord de l’exploit physique. Près de cinq mois pour atteindre au terme, à raison d’environ vingt pages par jour. Les jours fastes. De conséquentes douleurs articulaires (coude et épaule gauches), le Vieux Lecteur ayant accompli son devoir allongé sur sa litière, adossé à deux oreillers. Des douleurs telles qu’il lui vint l’envie de porter plainte à la fois contre l’Auteur et contre l’Editeur pour actes de torture physique envers un Vieillard impotent. Envie qu’au bout du compte il confina. Ce qui est de saison.

Mais au-delà de ces considérations ? Subsiste chez le Vieux Lecteur, quelques semaines après avoir refermé l’ouvrage, un sentiment partagé. Celui d’avoir beaucoup appris durant toute sa première partie, une magistrale leçon d’histoire sur la « construction » des inégalités tant au sein des sociétés occidentales que dans d’autres sociétés telles que l’Inde. Le long retour sur les temps de l’esclavage et le colonialisme lui confère une tonalité critique particulièrement intéressante et éclaire un certain nombre des problématiques actuelles. Celui sur les évolutions des sociétés sociales-démocrates, celles de « l’égalité inachevée », est par contre, dans le ressenti du Lecteur, un peu moins convaincant, surtout lorsque Thomas Piketty tente d’expliquer ce que furent les dérives « néolibérales » de la sociale-démocratie au cours des quarante dernières années, comme si l’Auteur ignorait (ou négligeait ?) ce que furent alors les virulentes offensives idéologiques des tenants du néolibéralisme omniprésents à la fois parmi les faiseurs d’opinions et au sein même du monde médiatique. Celui sur l’achèvement des sociétés dites communistes se contente de reprendre l’essentiel des thèses qui prévalent depuis la chute du Mur de Berlin, sans jamais conduire une analyse de fond sur les modalités de construction de ces sociétés. Il n’en reste pas moins vrai, toujours aux yeux du Lecteur, que la longue approche historique conduite par Thomas Piketty est loin d’être dénuée d’intérêt.

L’approche, dans la seconde partie, de ce qui pourrait être assimilable à la société mondialisée, celle de « l’hypercapitalisme », est en revanche beaucoup moins convaincante. Dans un ouvrage dont le titre fait référence à « l’idéologie », il est assez surprenant qu’au bout du compte celle-ci ne semble jouer qu’un rôle accessoire dans les processus initiés par celles et ceux qui se réclament de ce qui est quasiment devenu la pensée unique. L’offensive engagée voilà une quarantaine d’années n’a jamais cessé. Elle a même pris un nouvel élan, usant d’énormes moyens (économiques et médiatiques) pour confiner et annihiler les rares autres idéologies qui la contestent et tentent de s’opposer à elle. Il émerge de cette partie-là comme une sorte d’angélisme qui affadit le propos de l’Auteur. C’est du moins, et là encore, le ressenti du Lecteur. Lequel se refuse toutefois de d’émettre une opinion négative sur un texte ambitieux (dont ce qui lui semble relever de la faiblesse ?) qui constitue un bel ensemble nécessaire à l’ouverture du débat.

« La démocratie électorale telle qu’elle existe actuellement au niveau des Etats-nations n’est pas la fin de l’histoire. Les institutions politiques sont et seront toujours en perpétuelle transformation, particulièrement à l’échelon postnational, et l’examen des bifurcations du passé la meilleure façon de se préparer à celles de l’avenir. »

Capital et idéologie

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