« Cahier d’un art de vivre »

DEPESTRE René

(Actes Sud)

« Est-il fatal que le communisme se montre partout totalitaire dans ses pratiques sociale et culturelle, dans ses dires et faire historiques ? Est-il fatal que le Parti, un peu partout, inspire le plus souvent de la crainte, même parmi ses membres, au lieu d’être un foyer incandescent de tendresse et de confiance dans l’homme ? Est-il fatal que l’idéal se dégrade en se réalisant ? Est-il fatal que l’imagination, l’humour, la poésie de la vie s’éloignant de l’effort socialiste, au lieu de le féconder, de l’arroser, de le panifier pour le bonheur détendu et transparent des hommes ? Est-il fatal que la dictature du prolétariat (sur ce qui reste de la bourgeoisie) finisse par se transformer en dictature du parti (sur le prolétariat) et, à un échelon encore plus bas, en dictature du bureau politique (sur le Parti, sur le prolétariat) et, plus bas encore, au fond de la fosse, à la dictature d’un seul homme (sur tous les dirigeants du Parti, sur le Parti dans son ensemble, sur le prolétariat) ? »

René Depestre formule ces interrogations le 18 janvier 1971. Dans ce Journal que viennent de publier les Aditions Actes Sud, un journal qui de manière intermittente va de 1964 à 1978, soit donc la longue période d’exil de l’écrivain haïtien à Cuba. Cuba où René Depestre œuvre du côté des Révolutionnaires, donc de Castro et du Che. Mais c’est qu’il s’en passe en ce temps-là des évènements qui interrogent, qui bousculent, qui blessent, qui font naître le doute et conduisent parfois au renoncement. Le Journal de René Depestre raconte un temps de l’Histoire qui est celui de la Guerre froide, en ces années où Cuba tente de s’inventer un avenir socialiste. Le temps des illusions ? René Depestre s’est impliqué, en tant que communiste, dans cette aventure-là. En ayant autorisé la publication de ses écrits « cubains », il assume, sans rien travestir, cette part de son histoire qui s’inscrit dans le tumulte de l’Histoire. Et c’est bien cette authenticité qui suscite l’intérêt. (Le 4 juillet 1978, alors que l’écrivain et poète se prépare à quitter Cuba, il écrit : « La révolution est à vivre comme une expérience intérieure, également. »)

Voilà donc une publication qui s’adresse à celles et ceux qui souhaitent se confronter à une autre représentation de ce que furent les années de la Révolution cubaine. Un Ecrivain décrit ce qu’il observe, raconte ce qu’il vit. René Depestre ne triche pas. S’il se laisse parfois emporter par l’enthousiasme révolutionnaire, s’il brosse de temps à autre des portraits dithyrambiques de Castro (mais aussi du Che), il ne faut surtout pas oublier qu’un Journal s’écrit au jour le jour, dans le feu de l’action. Et que ce Journal-là reflète également les souffrances qu’endure le peuple de l’Île, souffrances qui sont causées par l’embargo imposé par les Américains (un embargo qui jusqu’à ce jour n’a jamais été dénoncé par ceux, Républicains et Démocrates, qui se prétendent les vertueux concepteurs de l’idéal démocratique).

Le vieux Lecteur, après avoir refermé le livre, se dit qu’il n’a aucune raison de regretter ce qui fut son amour et sa passion pour Cuba. René Depestre lui a rendu palpables dans son Journal quelques-uns de ses rêves de jeune homme, des rêves qui se conjuguaient à l’utopie dont il ne s’est jamais vraiment défait.

« … Voici notre audace qui nous tient debout

Et nous protège du froid et de la CIA

Notre audace vitale et si bleue dans nos mains

Qui n’ont pas coupé les testicules du Christ

Mais qui coupent les cannes du nouvel homme

Pour sa poésie sa vérité sa belle saison »

Cahier d'un art de vivre

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