« Miracle au Brésil »

BOAL Augusto

(Chandeigne)

Il ne s’agit pas d’un quelconque miracle économique, celui auquel appelaient de leurs vœux les Maîtres du Brésil. Au début des années soixante-dix de l’autre siècle. Lorsqu’une junte militaire régentait cet immense pays. Une junte soutenue, financée, conseillée, orientée par les USA. Puisqu’elles n’avaient de cesse de combattre l’hydre communiste et que dans cette guerre, il eut bien évidemment été vain de faire la fine bouche. D’où l’art d’entretenir des liens fusionnels avec les dictatures, jusqu’aux plus sanguinaires.

Augusto Boal était un homme de théâtre. Assorti d’un combattant de la liberté. Un militant, à sa manière. Qui sera un des créateurs, un des animateurs les plus inventifs du Théâtre de l’Opprimé. Un de ces individus dont une dictature ne peut tolérer la présence et l’action. Il fut arrêté en février 1971. Un contrôle de routine, affirmèrent ses tortionnaires. En réalité, l’enfermement vite assorti de la torture pratiquée avec une sorte de jubilation par les sbires du régime. Des souvenirs que narre Augusto Boal. Sans jamais sombrer dans le mélo. Usant dans sa narration de l’humour comme pour continuer à se protéger des actes barbares qui lui furent infligés quotidiennement.

Mais Augusto Boal ne sature pas son récit des souvenirs de ces journées durant lesquelles il imagina le pire. Augusto Boal était un combattant, embastillé, certes, mais qui survivait dans la proximité de tous les autres, de toutes les autres, camarades et compagnons que la dictature entendait réduire à l’état de loques humaines. Le livre s’illumine lorsqu’il révèle les moments de fraternité, lorsqu’il relate les débats qui rapprochent tout autant qu’ils opposent des frères de combat. Ceci, là encore, traité avec ce qu’il faut d’humour, pour ne point désespérer le Lecteur.

Augusto Boal résistera aux épreuves. Bénéficiant d’un important soutien d’intellectuels européens (entre autres), il sera libéré en avril 1971 et participera au festival de théâtre de Nancy. Avant de quitter sa geôle, il aura le temps d’écouter un nouveau détenu raconter ce qu’entreprennent à Sao Paolo et dans le Nord du Brésil les mouvements de résistance paysans et ouvriers.

« Ils voulaient tous nous tuer. Ils en ont tué beaucoup. Certains sont morts par balle, d’autres sont morts de peur. Le Brésil s’est transformé dans un grand cimetière. C’était comme si les hommes sortaient de chez eux directement vers leurs tombes. Et ceux qui étaient déjà morts ont pourri ; et le corps des moribonds a raisi, et on aurait dit que tous étaient morts, tout à fait morts. Mais certains se sont mis à dire tout bas, « je suis vivant, je suis vivant », et d’autres ont entendu cette voix qui leur disait qu’elle était vivante, et tout à coup ils se sont mis à dire tout bas, d’abord tout bas, « je suis vivant, je suis vivant ». Et d’autres ont entendu ces voix, et maintenant ils sont nombreux à dire qu’ils sont vivants, ils sont nombreux, les vivants qui disent « je suis vivant, je suis vivant… ». Ils sont nombreux, ceux qui crient qu’ils ne sont pas morts, qu’ils sont vivants, ils sont nombreux , ceux qui font des choses de vivants et non des choses de morts, et leur nombre grandit, grandit, ils sont maintenant nombreux, les camarades, et même si on ne doit pas être trop optimiste, il y a de plus en plus de gens qui disent et font des choses de vivants, et qui sont vivants, et c’est ça, le miracle, le miracle au Brésil, le peuple est vivant, bien vivant, et bientôt les assassins qui pensaient qu’il serait facile de tuer le peuple, bientôt ces assassins vont se rendre compte que ce sont eux les morts et que le miracle a déjà eu lieu, c’est le peuple entier, c’est le peuple vivant qui crie « je suis vivant, je suis vivant… »

Ce livre n’est pas à observer comme on le ferait d’ordinaire devant le fatras de souvenirs très anciens. L’homme qui préside actuellement aux destinées du Brésil, lui-même ancien militaire, se déclare un fervent admirateur des dictateurs des années soixante et soixante-dix. L’histoire bégaie là-bas tout comme elle le fait au cœur de cette Europe qui assèche et réduit à ses seules apparences la démocratie.

Miracle au Brésil

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