« Anchise »

DESBIOLLES Maryline

(Points 787)

Voilà quelques semaines de cela le Lecteur s’immergea dans « Le neveu d’Anchise » (voir notes de lecture d’août ou septembre 2021), le plus récent des romans de Maryline Desbiolles (Seuil). Un roman qui lui donna l’envie d’effectuer un bond en arrière. Un peu plus de vingt ans, à vue de nez. Pour retrouver « Anchise », roman là encore qui fut la toute première œuvre de l’Ecrivaine avec laquelle il entra en contact. Il fut alors fasciné par le portrait du vieil homme, installé dans l’arrière-pays niçois où il cultivait son jardin et prenait grand soin de ses abeilles. Le merveilleux portrait d’un solitaire, un « brave homme » qui entretenait le souvenir d’un amour en allé. La Blanche. Si fragile et morte si jeune. Mais dont le fantôme apparaissait encore dans les lieux familiers, ceux au cœur desquels Anchise exerçait ses activités alimentaires.

Le roman de Maryline Desbiolles n’a pas vieilli. Il a une fois encore émerveillé le Lecteur, lequel a, lui, pourtant pris beaucoup de rides.

Il est des nuits où Anchise lui parle.

« De plus en plus. De plus en plus l’étroit triangle. L’air se raréfie et avec lui les rêves, les images. Ca patine, ça achoppe, ça se grippe, ça se rétrécit. Il faut jouer des coudes, mais plus on tente de s’en sortir et plus on s’essouffle, plus on manque d’air. Bientôt Anchise vidé de son souffle, exsangue, bientôt Anchise s’endormirait au cœur de son sommeil, et pire encore la mort de la Blanche s’endormirait. Assoupi du bon sommeil des bons vieux. Anchise finirait par ne plus comprendre pourquoi cette mort lui a gâché si parfaitement la vie, lui donnant par là même un goût extravagant de fruit blet, pourrissant sous la mousse, une odeur de fleurs décrépites mais dont la couleur, la vigueur inattendue sont parfois réveillées, rarement il faut bien le dire mais parfois, miraculeusement, par la lumière plus inattendue encore. On peut se damner, on peut cracher sur la vigueur des fleurs fraîches à cause de cette résurgence inespérée, de cet éclat volé à l’obscurité, revenu d’entre les morts, échappé. On peut tout laisser tomber. Anchise ne s’éteindra pas dans le bon sommeil, il ne sera pas un mon vieux, il n’acceptera pas la mort, pas une seconde il n’aura vécu avec elle, il n’aura vécu que contre elle, la travaillant sourdement au corps, taupe creusant la terre sans cesse et sans cesse la rejetant, la vomissant de toute sa chair, ne pouvant respirer que dans la détestation qu’il lui voue. Il sera un vieux fou, sur toute la terre on n’en trouvera pas de plus fou. Il n’y a aucune chance pour qu’il s’apaise, pour qu’il devienne jamais le brave ermite vantant l’air pur et les vertus des produits naturels. Il n’a rien à défendre, rien à garder. Il ne connait aucune de nos routes, aucun de nos chemins fussent-ils de traverse. Il ne marche pas pour avancer. »

Anchise

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