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Lectures
6 mai 2024

Déserter

« Déserter »

ENARD Mathias

(Actes Sud)

 

Il y a dans ce roman-ci le Déserteur. Celui qui fuit une guerre qui n’est plus sienne. Une guerre dont le Lecteur ignore qui elle oppose et où elle se déroule. Ce qui est, il est vrai, secondaire. Le Déserteur revient vers des contrées qui lui furent familières, parmi des montagnes qui surplombent la mer, là où ses aïeux avaient érigé un modeste abri. Cet abri où il s’installe pour prendre un peu de repos avant d’essayer de gagner un pays où la guerre n’a pas cours. Mais où l’irruption d’une femme, en fuite elle aussi, va le contraindre à bouleverser ses plans, un bouleversement qui le conduira peut-être vers la rédemption.

Mais il y a dans ce roman-ci une autre forme de désertion, celle qui ne dit pas son nom, mais qui s’inscrit, elle, dans un temps long de l’Histoire, et qui est celle de Paul Heudeber, mathématicien allemand qui avait fui le nazisme puis fut arrêté à Liège par la Gestapo et interné à Buchenwald. La guerre terminée, Paul Heudeber ne renie rien de ses engagements de jeunesse et reprend ses activités de mathématicien en RDA, avec le privilège, lié à sa notoriété internationale, de bénéficier d’une certaine liberté de mouvement. Maja, son épouse et mère de leur fille (la narratrice du récit « allemand »), a choisi de vivre en RFA et de militer au sein du SPD de Willy Brand, où elle occupe des fonctions plus qu’honorifiques. Les portraits de ces deux personnages prennent forme dans la narration du colloque qui, le 11 septembre 2001 (la date n’est pas anodine), du côté de Berlin, rend hommage à Paul Heudeber décédé quelques années auparavant.

C’est pour cette partie du roman de Mathias Enard que le vieux Lecteur s’est ressenti d’une très grande proximité. Bien évidemment en raison du fait qu’elle évoque ces temps qui le relient aux moments les plus douloureux de l’Histoire contemporaine. Le nazisme, observé du côté allemand par un intellectuel antifasciste. Le communisme, avec lequel cet homme-là accepta de son plein gré de collaborer. Mais rien de schématique, aucune simplification arbitraire dans le propos du Romancier. Qui fait vivre des personnages de chair et de sang impliqués dans les combats d’alors. Jusqu’à « sa » narratrice, la fille de Paul et Maja, qui sut entraîner et garder auprès d’elle ce vieux Lecteur tout heureux de participer à la croisière/hommage dédiée au défunt mathématicien au fil de l’Elbe et de la Havel, dans l’environnement de la capitale de l’Allemagne réunifiée.

Restent en lui des phrases qui expriment quelques-unes de ses réflexions sur ce qui fut durant le grand tumulte des cinquante premières années de son existence. « Mais j’ai l’impression que la vie m’a donné tort sur beaucoup de points ; on a réfuté des théorèmes, infirmé certaines de mes conjectures, oublié nombre de mes travaux ; nous n’édifierons plus le socialisme et on ne m’appellera plus camarade – nous payons le prix de notre intransigeance, de nos erreurs, et notre trop grande soumission aux va-t-en guerre russes. J’ai eu le tort peut-être de croire, de conjecturer que l’humanité était faite pour la paix, le partage et la fraternité. Je regarde la mer et j’attends. » Raison pour laquelle il exprime son profond attachement à ce roman.

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