Le jour des caméléons

« Le jour des caméléons »

DEVI Ananda

(Grasset)

Un roman à ne surtout pas négliger. Un roman sur les tourments que traversent les sociétés humaines. Des tourments observés depuis ce qui pourrait ne paraître, vu de France, qu’un microcosme sans grand intérêt, l’île Maurice. Mais tous les ingrédients sont présents dans le roman d’Ananda Devi. Non seulement présents, mais présentés pour ce qu’ils sont, sans concession, avec une intensité qui peut peut-être surprendre les Lecteurs non avertis. Avec une véhémence qui a réjoui le vieux Lecteur, lequel s’insupporte lorsqu’il découvre tant de ces textes consensuels qui font les délices des défaiseurs d’opinions. La voix de l’Auteure l’a tenu en éveil, a aiguisé sa curiosité, a établi une sorte de proximité avec cette femme dont il n’avait jusqu’alors jamais rien lu.

« Une existence protégée par le plexiglas de la richesse, transparent pour que les autres puissent bien voir ce qui leur est inaccessible, comme ces luxueuses villas construites pour milliardaires étrangers… qui poussent sur les propriétés sucrières, perce que la canne à sucre ne rapporte plus, alors on aplatit, on arrache, on arase ce qui a été la colonne vertébrale du petit pays et qui n’est plus profitable. Et puis, ça permettra d’oublier que ce beau sucre cristallin est taché du sang bien rouge des esclaves, le saveur n'en est que meilleure, subtilement frelatée par la sueur des laboureurs… »

Une île minuscule entre en ébullition. Les damnés de cette terre font plus qu’entendre leur voix. Ils rugissent, à l’instar du volcan qui lui se réveille sous les semelles des godasses luxueuses des touristes étrangers. Les caméléons, passagers clandestins venus autrefois de Madagascar, se teintent de rouge. Zigzig, le gamin chef de gang, est loin d’être l’immonde ordure qu’il avait laissé entrevoir. L’embrasement est si soudain que nul ne parvient à le contenir. Un roman à lire l’esprit large ouvert. Plus que réconfortant, remarquable par sa vitalité.