« Au pas de l’oie »

(« Chroniques de nos temps obscurs »)

TABUCCHI Antonio

(Seuil)

Le Lecteur qui est un familier des œuvres d’Antonio Tabucchi avait ignoré cet ouvrage lors de sa parution en 2006. Il l’a découvert sur le présentoir aux occasions de la librairie Gibert. Surpris par cette ignorance qui relève de la goujaterie. Mais finalement heureux de cheminer de case en case, au pas de l’oie, de chronique en chronique, de remonter le temps jusqu’à l’orée de ce siècle. Lorsque Berlusconi règne sur l’Italie. Lorsque l’argent est devenu la seule valeur de référence, que l’Histoire est falsifiée à tel point que les fascistes (et le fascisme) sont réhabilités par plus hautes autorités de l’Etat. Pire, lorsque l’Etat abandonne les oripeaux du Droit, lorsque cet Etat devient une affaire privée ne profitant qu’à quelques initiés. Soit donc la dérive que tenta d’initier de l’autre côté de l’Alpe ce Monarque dont l’état d’excitation permanente avait fini par donner le tournis au Lecteur. « Au pas de l’oie » nous immerge dans une problématique contemporaine, celle du risque de la dérive autoritaire de régimes prétendument démocratiques. « Au pas de l’oie » est certes une œuvre d’indignation mais aussi, et mieux encore, une œuvre de résistance. « Tel est l’avantage de la littérature : c’est un espace de liberté. »

Eh oui, les chroniques écrites par Antonio Tabucchi sont bel et bien de merveilleux exercices littéraires qui en appellent tout autant à l’intelligence qu’à la sensibilité, à l’émotion. Haï par Berlusconi et ses sbires, il délivra à travers elles un propos d’une grande lucidité, ce que le Lecteur appelle le contre-message, le seul qui vaille. « Je parle car je suis. Quand ma gorge sera pleine de terre, je cesserai de parler. Alors, le silence sera. Une éternité de silence m’attend. Mais avant que ce silence éternel n’arrive, je veux me servir de ma voix. De ma parole. »

Depuis lors, la voix d’Antonio Tabucchi s’est tue. Il serait dommage de ne pas se la réapproprier en revenant vers les traces multiples qu’il a laissé. Dont cet ouvrage découvert tardivement par le Lecteur. Encore que le Lecteur ne soit pas un adepte de l’immédiateté. Et qu’ici, le recul permet de mieux appréhender la force d’un propos qui, s’il prend appui sur « l’expérience » italienne, s’élargit à ce que deviennent les sociétés européennes, toutes engluées dans un culte commun du Veau d’Or. Dans une même relation « idéologique » qui rassemble les pouvoirs politiques, économiques et spirituels (ou prétendus tels).

« Au pas de l’Oie » n’est pas un ramassis de ces textes si communs aujourd’hui, de ces textes si accommodants avec le Grand Désordre Capitaliste. Les chroniques d’Antonio Tabucchi n’engluent pas dans le désespoir. Elles invitent bien au contraire à la réflexion, elles suggèrent le combat (d’idées), elles dénoncent les dérives de ceux qui sont censés représenter l’alternative démocratique. Telle celle-ci, datée du 7 novembre 2004, qui présente bien des analogies avec l’actuel contexte franchouillard. « Mais poussons jusqu’au bout l’idée qui s’insinue au sein d’une certaine gauche italienne et selon laquelle il faudrait, pour gagner les élections, faire une politique susceptible de séduire l’électorat de droite. Pourquoi alors ne pas doubler sur sa droite ce qu’on appelle la nouvelle droite ? La gauche pourrait ainsi gagner pour de bon et se présenter comme nouvelle nouvelle droite. Et elle serait vraiment tranquille : elle serait au gouvernement, mais personne ne la reconnaîtrait. »

Au pas de l'oie

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