« A son image »

FERRARI Jérôme

(Actes Sud)

Déçu, le Lecteur. Lui dont la fréquentation de Jérôme Ferrari lui fut jusqu’alors bien plus qu’agréable. Un goût quelque peu amer de consensualisme dans ce roman-ci. Un « produit » littéraire convenable, donc recevable par la société parisienne, celle qui plaça en orbite ministérielle son éditrice. L’histoire d’une jeune femme qui, au cours des années 80 de l’autre siècle, avait choisi de devenir photographe. Un métier, en Corse, sans vraie perspective d’avenir. La transmission de reflets de la vie insulaire à « Morse Taquin », l’incontournable quotidien. Mariages et enterrements, concours de boules et élections de miss. Quelques soubresauts de la vie politique. Mais rien de vraiment dérangeant. La jeune femme (Antonia) s’ennuie. Pour sortir de cet ennui, elle gagne la Yougoslavie où une guerre désunit, dans le sang et des larmes, des peuples qui s’étaient essayé à vivre ensemble. Alors qu’en Corse, le mouvement nationaliste commence à se déchirer et que ne tarderont pas à survenir les premiers « règlements de compte ». Lesquels affecteront Antonia, les plus proches de ses amis s’étant engagés pour la « cause ».

Antonia meurt dans un accident de voiture, seule, sur la route de l’Ostriconi. Ses obsèques sont célébrées dans son village par un prêtre qui est à la fois son oncle et son parrain, mais aussi son confident. C’est donc au suivi des différentes phases de la liturgie que fut convié le Lecteur, phases au cours desquelles s’esquissèrent les contours du souvenir de la défunte, jusqu’au Libera me final.

Donc un Lecteur déçu. Par un récit somme toute conventionnel. Déçu et même parfois irrité d’avoir à subir ce qui lui parut prendre les apparences d’un « règlement de compte » initié par Jérôme Ferrari à l’encontre de sa propre histoire et donc de ce que furent peut-être ses illusions. Le nationalisme corse. Comme s’il fallait, aujourd’hui, administrer la preuve d’un retour effectif dans les normes sociétales telles qu’elles s’écrivent à Paris. Avec, et comme ornementation, ce trop plein de religiosité dont le Lecteur peina à s’accommoder, dont Il ne s’accommoda jamais. Chacun réécrit à sa façon son histoire, c’est vrai. Faut-il pour autant tout renier, même en y mettant les formes ? Antonia méritait peut-être un peu mieux que l’enferment dans un récit qui ne surprend pas mais qui répond si bien aux attentes des commanditaires présumés.

« Sous un drapeau corse accroché à des branches d’arbre, un clandestin tenant un papier à la main, un clandestin tenant un papier à la main était assis à une table, entouré d’une dizaine d’hommes en armes. Il se mit à lire texte d’un communiqué et, cette fois, Antonia reconnut la voix de Pascal B., en dépit des efforts grotesques qu’il faisait pour la déguiser. En prenant des photos, elle réalisa qu’elle devait connaître à coup sûr chacun des visages dissimulés sous les cagoules et ce qui aurait pu lui apparaître comme un privilège d’initiée aux Mystères la déprima profondément. Toute sa joie d’accomplir une tâche qui en valait la peine disparut. Elle ne participait pas à l’histoire exaltante d’une île de la Méditerranée mais seulement à un jeu puéril où d’anciens amis d’enfance se déguisaient en guerriers et en journalistes sans même parvenir à prendre leurs rôles respectifs au sérieux. »

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