« Rouge c’est la vie »

JONQUET Thierry

(Seuil)

Une savoureuse immersion dans un récit sans doute autobiographique qui traite de l’engagement politique, un engagement fort différent de celui que vécut le Lecteur au cours de ces années si lointaines qui vont du printemps 1968 au mois de septembre 1973, mois qui, faut-il le rappeler ?, fut celui au cours duquel, et avec le soutien de la CIA, Pinochet extermina celles et ceux qui furent les acteurs majeurs de l’unité populaire chilienne.

Jonquet adolescent (Victor), enfant de sympathisants communistes, fut aussitôt après mai 1968, attiré puis fasciné puis formaté par les authentiques militants prolétariens de Lutte Ouvrière (LO). Horrifié qu’il avait été par les atermoiements des Jeunesses Communistes (JC) durant ce mois de mai. « Aventurisme. Ils n’avaient que ce mot-là à la bouche, les copains de la JC. L’aventure leur faisait peur. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, mais eux, si. » Victor s’engage du côté de la formation dont Arlette n’est encore la porte-parole. Victor milite. Victor gravit un à un les échelons sensés le conduire au saint des saints. Léa, quant à elle, adolescente d’origine juive, s’engage du côté de ceux qui représentent ce qu’il y eut de plus exaltant dans la construction du jeune état israélien : la fondation des kibboutz, sortes de coopératives qui s’inspirent des idées de Marx.

Tout au long des cinq années que couvre le roman, Victor et Léa cheminent, loin de l’autre. Tout ou presque les oppose. D’autant que le militant LO penche du côté des spoliés, les palestiniens. Alors que Léa n’a pas d’autre choix que d’adopter le point de vue des israéliens dans leurs guerres successives avec les pays arabes. Donc rien n’est sensé les rapprocher. Sauf que le Hasard fait parfois bien les choses. Victor finit par se rebeller contre la Machinerie LO, « l’orga, ses pompes et ses œuvres, sa phobie paranoïaque de la contagion petite-bourgeoise, sa mythologie puisée dans une littérature produite par des géants qui auraient été désespérés de constater qu’ils avaient engendré une lignée de nabots. » Léa, elle, s’épuise et s’use dans l’accomplissement des missions fort ordinaires sensées lui permettre d’accéder à la nationalité israélienne. L’une et l’autre reconquièrent leur autonomie. L’autre et l’une finiront par se rencontrer. Et, vingt ans plus tard (puisque le roman fut publié en 1998), « Victor aime Léa. Léa aime Victor. Tout est dit en six mots. Six. Pas un de plus. »

Le Lecteur reste sous le charme de ce roman. Qui n’est pas le roman du désenchantement. Un roman qui narre les errances magnifiques de deux rêveurs, de deux utopistes. A priori, quinze ans après sa publication, il n’a pas pris une seule ride.

Rouge c'est la vie

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