Les deuils s’ajoutent aux deuils.

Mes deuils à moi.

Hier, Henri Alleg, le vieux communiste.

Aujourd’hui Jack-Alain Léger.

Décédé dans une indifférence qui me navre.

Même chez les familiers des fèces de boucs, si prompts d’ordinaire à verser des torrents de larmes au lendemain du décès de calamiteux écrivaillons, d’hétéroclites personnages inféodés à la société du spectacle.

Rien de rien.

Pas même un mouchoir en papier abandonné au pied du mur.

Rien de rien.

Silence sur toute la ligne.

Y compris sur les ondes de la radio de l’information itérative.

A sa décharge, il est vrai que ni le Monarque ni la Ministreuse en charge de la Culture n’ont publié de communiqué, un de ces textes tarabiscotés qui chantent les louanges de tous les Immenses Disparus, qui leur concèdent d’exceptionnelles qualités, qui expriment à leurs proches la reconnaissance de la nation.

Rien de rien.

Sauf Libé, qui consacre en ce vendredi 19 juillet une quasi pleine page à Celui qui la veille se défenestra.

Une mort pas ordinaire.

Une mort qui évita à Jack-Alain Léger de se traîner un banal cancer ou de succomber à un foudroyant infarctus.

Jack-Alain Léger n’était pas un écrivain ordinaire ; il est mort en écrivain d’exception.

Ignoré, vilipendé, haï au sein de l’affligeante et versatile société des gens dits de lettres, le microcosme des nombrilistes consensualistes, des insipides courtisans.

Jack-Alain Léger fut étranger à ce petit monde-là.

Mieux encore, il fut le pourfendeur d’une société où la lâcheté et l’hypocrisie sont considérées comme les seuls vrais ferments du talent.

Avec toutes les outrances que cela induit.

Des outrances vivifiantes, des outrances bienfaitrices pour qui ne se résigne ni à la soumission ni à l’humiliation.

Jack-Alain Léger laisse une œuvre « profusionnelle », dont les scories ne masquent évidemment pas la multitude des pages dévastatrices, tableaux ô combien réalistes des turpitudes qui sont le lot commun des puissants, de tous les puissants.

S’immerger dans cette œuvre-là, c’est déciller son regard afin de mieux appréhender les forfaitures perpétrées par celles et ceux qui n’ont d’autre objectif, eux, de nous anesthésier.

Cette œuvre-là est une œuvre de contestation, de révolte permanente contre les idées reçues, les faux semblants, les falsifications.

Cette œuvre-là est un torrent qui irrigue et nourrit les colères les plus justes, les colères les plus saines.

Fusse parfois au prix de l’incompréhension ou de la stupeur, qui sont des moments nécessaires de la reconnaissance et de l’amitié littéraires.

L’œuvre de Jack-Alain Léger vit.

Camouflée, dissimulée chez quelque libraire digne de porter ce titre, dans quelque bibliothèque municipale, là où les censeurs n’ont pu exercer leur impitoyable mission.

L’œuvre de Jack-Alain Léger (qui fut aussi, et dans le même mouvement Paul Smaïn ou Dashiell Hedayat) vit, toujours aussi dévastatrice, toujours aussi tonitruante.

L’écrivain, lui, a décidé de sa mort.

Je lui dois ce fraternel hommage.

Jack-Alain Léger

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