"Les îles"

Philippe LANCON

(Lattès)

"La folie ne m'intéresse pas et ne me fascine pas. Je n'ai ni assez de talent ni assez de liberté pour elle. Je manque de violence pour l'imaginer." Ces trois phrases si brèves, si concises, si rédhibitoires, ouvrent le roman de Philippe Lançon. Une façon comme une autre de mettre en garde le Lecteur, de l'avertir sur la banalité d'un propos que l'écrivain assume par avance. Passée cette mise en garde, le Lecteur, lui, s'est déjà préparé à s'immerger dans "les ténèbres grises de la normalité". De Hong-Kong à Cuba. Les îles.

Philippe Lançon est apprécié depuis fort longtemps par le Lecteur. En tant que défricheur: Philippe Lançon est critique littéraire à Libé, mais aussi journaliste. Une de ces plumes qui honorent la profession. Reste tout de même que l'excellent journaliste ne fait pas nécessairement un bon écrivain. Le Lecteur est atterré devant tant des médiocres productions des stars de la Médiatouillerie, stars éditées en raison de leur statut et non point de la qualité littéraire de leurs écrits. Sauf que Philippe Lançon n'est pas une star. Sauf que Lançon se tient très éloigné du centre de gravité de la Médiatouillerie et qu'il n'est en aucun cas à ranger du côté des dupes. "Les entreprises de papier peint qui m'employaient, et qu'on appelait encore des journaux, vivaient leurs stades terminaux. Elles étaient dirigées par des notables sans argent, folie ni génie, des comptables omnipotents, des imbéciles ambitieux et paniqués qui hantaient les couloirs de l'actualité avec des allures d'éjaculateurs précoces..."

Le Lecteur fut très vite rassuré. Philippe Lançon est un écrivain. Un écrivain de la meilleure veine. Dont l'écriture ne cesse jamais de surprendre. Tant elle échappe aux conventions qui prévalent dans l'univers du journalisme pour s'affirmer tout en se délivrant des influences littéraires. "Les îles", ce n'est pas seulement le portrait croisé de Hong-Kong et de Cuba. Le roman est une observation apparemment clinique de l'évolution de la folie de celle, l'amie du narrateur, qui déserte la cité chinoise pour de courtes vacances à Cuba. Comment être soi dans l'une et l'autre des deux îles? Comment être soi en passant de l'univers de l'opulence à celui de la misère? Comment accepter les contradictions d'un monde où il devient si difficile de se reconnaître dans les imageries que véhiculent les systèmes dominants?

Le propos est ambitieux. L'oeuvre se situe à la hauteur de cette ambition. Le Lecteur, sorti de ce roman, ne se ressent plus du besoin de partir à la découverte des productions franchouillardes qui ont alimenté les chroniques au cours des dernières semaines. Non. Il lui vient l'envie à la fois d'élargir ses horizons et, dans un même mouvement, de reprendre appui sur ses socles familiers. Philippe Lançon, une fois encore, l'aura aidé à se dégager de la gangue des conformismes.

Philippe Lançon - Les îles

Les îles

Partager cet article