« Alma »

LE CLEZIO Jean-Marie Gustave

(Gallimard)

« Peut-être est-ce pour ceci que je suis venu à Maurice, sans vraiment le vouloir : pour comprendre l’origine, le point brûlant par où tout a commencé. » Là où tout a commencé et là où tout s’est achevé. La dynastie des Felsen. Ce que les mémoires sont peut-être susceptibles de restituer. Les mémoires de quelques vieilles femmes. Les traces susceptibles d’éclairer l’histoire d’une famille qui prospéra dans la culture de la cane à sucre, au temps de l’esclavage. Tous les mystères enfouis sur cette île Maurice qui se voue désormais au tourisme de luxe. Le temps presse.

Jérémie s’est donné un prétexte : trouver d’éventuelles traces de l’oiseau mythique, celui qui peuplait l’île avant que les hommes n’y débarquent, l’oiseau qu’ils exterminèrent, le dodo dont le dernier spécimen ne parvint à Londres que sous la forme d’un cadavre. Un prétexte qui lui permet de parcourir quelques-uns des territoires qui furent ceux de ses ancêtres. Alma. Un prétexte qui lui permet de dialoguer avec des témoins d’un passé désormais forclos. Alors que son récit s’enchevêtre avec celui que donne à entendre Dominique, alias Dodo, qui est un conteur. Un conteur en souffrance. Victime de la lèpre qui lui a détruit le visage. Un îlien réduit à la mendicité et que des circonstances particulières vont éloigner à tout jamais de l’île.

« Je veux voir toutes les traces, remonter à la source de toutes les histoires. Ce n’est pas facile. Elles sont cachées, secrètes, des scandales de famille, des mensonges pieux, l’oubli a recouvert cette île, l’a enveloppée d’une membrane souple et laiteuse d’illusion. » Jérémie avance dans sa quête, tandis que Dodo se confronte à un nouveau monde tout aussi impitoyable et cruel que celui qu’il a quitté. La mémoire de l’un se télescope à celle de l’autre, à celle de quelques autres. Parfois les bouches s’ouvrent. Emmeline raconte. « Mais c’est la prison des Noirs, Jérémie, la prison des esclaves, partout dans l’île on les a démolies, on ne voulait plus voir ça, tu comprends, pas parce qu’elles nous faisaient honte, non, parce qu’elles gênaient, elles prenaient de la place, on ne pouvait pas les rendre jolies pour en faire des campements à touristes, des tas de vieilles pierres empilées, des trous, partout, des oubliettes, des oubliettes qu’on avait creusées autrefois, pour ne plus penser à eux, avant d’aller les pendre à la prison de Saint-Louis, des trous pour ne pas les entendre crier et pleurer, les femmes, les enfants, pour les enterrer vivants ! »

Voilà plus d’un demi-siècle que le Lecteur fréquente Le Clézio. Fidèle. Toujours ébloui. Dans une proximité qu’il ne s’explique pas mais qui lui procure à chaque fois un bonheur intense. Que lui a procuré « Alma ». Avec cette approche qui lui est plus que jamais nécessaire, celle qui oblige à garder les yeux grands ouverts sur ce qu’il advient de l’Humanité.

Alma

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