« Le bûcher »

DRAGOMAN György

(Gallimard)

Superbe et foisonnant roman auquel s’est attaché le Lecteur, qu’il a refermé à regret. Peut-être en raison de sa propre histoire, de ce que furent ses engagements. Mais plus sûrement à cause des exceptionnelles qualités littéraires de cette œuvre-là.

L’histoire d’une orpheline qui atteint l’âge de la puberté. Quoi de plus banal ? Sauf qu’elle vit dans un pays de l’Est de l’Europe. La Roumanie. Dont le peuple vient de se débarrasser de l’infâme dictateur. Emma, cette orpheline, est accueillie dans une institution au lendemain du décès accidentel de ses parents. Jusqu’au jour où se présente une vieille dame qui affirme être sa grand-mère (la mère de sa mère). Une nouvelle vie commence auprès de celle qui la recueille. Cette femme qui porte sans trop les révéler les cicatrices consécutives au chaos de l’histoire. Ou, et plus précisément, d’une histoire qui entremêle celle de deux pays : la Roumanie et la Hongrie (l’Auteur appartient à la minorité hongroise vivant en Roumanie).

Emma va vivre auprès de son aïeul un double parcours initiatique. Celui fort ordinaire qui concerne une adolescente atteignant à l’âge de la puberté. Plutôt bonne élève. Sportive. Artiste peut-être. Ressentant les premiers émois amoureux et découvrant les bouleversements qui se produisent dans son corps. Celui, si lent, si progressif, qui résulte l’histoire de sa famille au sein des violents tumultes de l’histoire, du fascisme au commune, et avec l’enracinement douloureux dans une société capitaliste déjà conquise par les charognards prospérant à grande vitesse sur les ruines du passé.

Ce roman si singulier mérite (exige) une longue et attentive fréquentation. Il ne raconte pas le triomphe du Bien (le capitalisme) contre le Mal (le fascisme et surtout le communisme). Ce qui serait dans l’air du temps. Non : son Auteur entraîne le Lecteur dans la complexité de processus historiques qui façonnent les êtres humains et les pousse en permanence à osciller entre le meilleur et le pire.

« Jamais il n’oubliera ce qu’il avait ressenti quand ils avaient défoncé le portail des services secrets. A ce moment-là, il avait eu l’impression de saisir exactement ce qu’était la liberté. Ce qu’elle signifiait.

A présent, il n’en est plus si sûr. Il pensait s’être battu pour que tout le monde ait accès à tout, pour que personne n’ait plus jamais peur. Pas pour que des types comme le père d’Ivan, qui n’étaient même pas là, rachètent petit à petit la moitié de la ville. Il a entendu dire que, non content de posséder la tannerie, il venait d’acheter la patinoire. Il secoue la tête, à quoi ça peut servir de posséder une entreprise, toute une usine, il ne pourra jamais comprendre ça. Et puis, comment une usine peut-elle appartenir à une seule personne ? Lui, il n’a certainement pas affronté la mort pour que tout redevienne la propriété d’une seule personne. »

Le bûcher

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