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Lectures
20 mai 2022

Le visage de pierre

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« Le visage de pierre »

GARDNER SMITH William

(Bourgois)

 

Il aura fallu attendre près de soixante ans pour que ce roman soit enfin traduit en français ! Alors même que l’Auteur n’était pas un inconnu puisqu’il travailla au sein de l’AFP, qu’il résida longuement en France, qu’il y mourut et y fut enterré en 1974. Tel est sans aucun doute le sort peu en viable qui est réservé en ce pays des droits de l’Homme aux œuvres dérangeantes.

Et cette œuvre-ci est terriblement dérangeante. Au regard des bien-pensants, bien entendu. Dont ceux qui entretiennent le mythe d’une nation exemplaire, exempte du péché de racisme, sauf à ses marges et dans un contexte historique qui autorisait, pour qui n’est point regardant, quelques débordements. Or voici un livre qui ne parle que de cela, le racisme. Un livre qui conte l’histoire de Simeon, un noir américain, qui s’en vint, au mitan de l’autre siècle, s’installer et tenter de vivre en France. Son objectif : fuir le racisme à l’américaine.

«  - Alors pourquoi es-tu parti ?

-      Pour échapper à la grisaile.

-      Tu blagues.

-      Non. »

Simeon ne blague pas. Il fuit la grisaille, le racisme à l’américaine. Il se trouve une petite place, à la marge, cette fois, de la société française. Journaliste. Reporter. Des conditions d’existence somme toute convenables. Qu’agrémente la fréquentation d’autres expatriés. Dont des noirs, américains comme lui. Un monde d’artistes, d’intellectuels. Le jazz. La politique. La bonne bouffe et les bons vins. Les femmes. Dont Maria, avec laquelle il vivra une flamboyante histoire d’amour.

Mais le mitan des années cinquante de l’autre siècle est également celui d’une guerre qui se répercute jusque dans le milieu des expatriés : la guerre d’Algérie. Simeon se fait des amis algériens. Et c’est à travers eux qu’il découvre une autre facette du racisme, le racisme à la française. Pervers, honteux, virulent, assassin. Nimbé d’un mépris à l’égard de colonisés qui ont l’outrecuidance de lutter pour l’indépendance de leur pays. C’est à Paris, au cœur du Quartier Latin, au cours de la nuit du 17 octobre 1961 qu’il en vivra jusque dans sa chair l’infinie brutalité, celle qui n’est rien d’autre que de la barbarie.

« Sur le quai, près du Pont-Neuf, Simeon se pencha contre l’aile d’une voiture en stationnement. Il ne savait pas ce que faisaient ses amis, ni ce qui venait d’arriver à Ahmed, ne ce qui se passait dans le reste de la ville. Ici, comme ailleurs, l’air était saturé par les hurlements des femmes et des enfants. Les gens couraient en tous sens, ils zigzaguaient, décrivaient des cercles, mais aucune fuite n’était possible. Simeon vit soudain une chose encore plus brutale que tout ce qu’il avait jamais vu. Quelques dizaines de mètres devant lui, un policier abattait sa matraque sur une femme qui tenait un bébé. Elle tomba à genoux, se pencha en avant pour protéger son enfant, mais la matraque du policier s’abattait encore et encore et encore. Simeon regarda, comprit qu’il pleurait, sentit tous ces coups sur son propre corps. Brusquement, il découvrit le visage du policier. »

Le visage de pierre. Celui qui le hante depuis ce jour déjà lointain où il fut passé à tabac, chez lui, en Pennsylvanie. Le jour où une lame de couteau s’enfonça dans son œil. Le visage de la haine raciste. Qu’il a tenté de recréer, en tant que peintre, sur une toile sans jamais y parvenir. En cette sinistre nuit du 17 octobre 1961, ce visage-là s’imposa une fois encore à lui, sous les traits d’un flic franchouillard.

Ce livre accompagnera le vieux Lecteur jusqu’à sa mort (laquelle n’est sans doute plus très lointaine). Parce que ce livre s’en vient en parallèle à ce que furent ses jeunes années, les années sanglantes d’une guerre dont le racisme fut une composante majeure. Ce livre, si tardivement traduit (mais si bien traduit !), il souhaiterait qu’il ne se refermât pas sur son ultime regard, mais qu’il passe ensuite entre les mains de ses petits-enfants qui auront, eux, le devoir de ne pas oublier ce qui fut.

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