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Lectures
1 février 2022

A la folie

folie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« A la folie »

SORMAN Joy

(Flammarion)

 

Une seule rencontre préalable avec Joy Sorman, la romancière. La peau de l’ours. Voilà six ou sept ans de cela. Une rencontre qui point ne l’agréa. Une sorte de passage obligé a priori sans lendemain.

Mais il vient tout de même de se produire un lendemain. Un peu par inadvertance. Quelques mots griffonnés dans la longue liste des lectures éventuelles. Plusieurs mois plus tard la réservation de l’ouvrage auprès du service spécialisé de la     médiathèque de Montpellier. Et enfin la mise à disposition de cet ouvrage dont il est patent, la couverture en témoigne, qu’il n’est pas un roman. A la folie. A la folie, et pour de vrai. « Pendant un an, tous les mercredis, l’autorisation m’a été accordée de circuler librement dans le pavillon 4B qui comprend douze lits et une chambre d’isolement. »

Voici donc un bouquin qui se met à raconter la libre circulation d’une Ecrivaine dans l’espace réduit d’une unité de soins psychiatriques, et donc sa découverte d’un monde inconnu, une découverte retranscrite, parfois explicitée, toujours nimbée d’un profond respect à l’égard de tous les protagonistes. « C’est propre, clair, moderne et sans vie, un aménagement fonctionnel, économique, aux normes de l’esthétique administrative… »

Le vieux Lecteur, pas après pas, a donc suivi le parcours initié par l’Ecrivaine. Lorsqu’il est parvenu au terme de ce parcours, il lui eut été vain de nier les vagues d’émotion, assorties de mouvements de colère, de cris d’indignation qui s’étaient emparés de lui. Car il a la certitude qu’en se lançant dans cette aventure, Joy Sorman a fait œuvre salutaire. Non pas tant dans sa dénonciation du dépérissement imposé depuis plus de trente ans par les gouvernements successifs au service public de santé. L’affaire est en effet désormais débattue au sein de la société française. Cette dénonciation-là ne constitue que le cadre préalable, nécessaire, toutefois indispensable à qui veut tenter de comprendre le pourquoi des dysfonctionnements. Mais le propos du témoignage s’appuie sur d’autres ambitions. Joy Sorman met à nu un système qui est une sorte de négation des fondamentaux des pratiques médicales, ceux qui s’expriment dans le serment d’Hippocrate. Un système qui prive le « malade » de tous les attributs de sa citoyenneté. A partir de décisions le plus souvent arbitraires, qu’elles fussent celles relevant de la justice ou de la médecine, ou pire encore de l’administration. Avec ses corps intermédiaires, les gestionnaires formatés pour répondre non aux besoins des « internés » mais aux exigences de la machinerie bureaucratique.

« … le cadre de santé. Représentant du directeur au pavillon 4B, petit DRH local, gestionnaire du personnel et du budget, il est le garant des soins, et des droits des patients ; il joue aussi le rôle de médiateur, de facilitateur, entre les familles, dont il reçoit les plaintes et les demandes, et l’hôpital, entre les médecins, qui négligent parfois de recevoir un malade, et les internés. M est un intermédiaire, il filtre les relations entre les échelons supérieurs de l’hôpital – psychiatres, chef de service, directeur administratif – et les hospitalisés et leurs proches, les sous contrainte, les contre leur volonté, les malgré-nous de la folie. »

Le vieux Lecteur, en accompagnant Joy Sorman dans son périple, a fait la connaissance de tous les personnages dont l’Auteure a peuplé son récit. A commencer par Franck et Maria, et puis tous les malgré-nous de la folie enfermés dans le pavillon 4B. Il a aussi entendu quelques psychiatres. « … si l’emprise de la chimie s’est étendue c’est que, selon Eva, la psychanalyse, c’est-à-dire la parole, a perdu la bataille au profit de la psychopharmacologie et des neurosciences, la pratique médicale s’est résorbée dans l’identification, la description et la classification des symptômes, et la prescription des molécules afférentes. On a converti les pensées et les tourments des patients en une simple activité cérébrale, les individus en séries de comportements, leurs pulsions en taux de sérotonine. »

Le vieux Lecteur s’est également ressenti d’une profonde et chaleureuse estime à l’égard des seconds rôles : infirmiers, aides-soignants, personnels de services. Ces femmes et ces hommes qui ne renoncent pas et dont les mots sont souvent de salutaires transgressions au sein de la machinerie orwellienne qu’est l’hôpital psychiatrique. Celle que Joy Sorman décrit en quelques phrases lapidaires. « Si l’hôpital psychiatrique est bien une aventure du langage, de la parole et du silence, du plein et du vide, des cris et des marmonnements, du sens et du non-sens, du verbe qui soigne et de celui qui déraille, peut-être ai-je prêté trop d’attention à tout ce qui se dit quand il y a aussi tout ce qui est tu. » Qu’elle en soit remerciée.

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