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Lectures
6 décembre 2021

Là où nous sommes chez nous

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« Là où nous sommes chez nous »

LEO Maxim

(Actes Sud)

 

L’histoire d’une famille éparpillée. Une famille allemande dont cette histoire débute à Berlin. En fait, une famille qui, initialement, n’est ni tout-à-fait juive ni tout-à-fait allemande. Une famille faite de mélanges et dont la question des appartenances ne préoccupe pas. Du moins jusqu’à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, soit donc au début des années 30 de l’autre siècle. Et que commence l’éparpillement. En direction de la Grande-Bretagne. En direction d’Israël. Un exode pour des gens qui jusqu’alors n’avaient qu’une conscience approximative, pour la grande majorité d’entre eux, de leur judéité. Un exode imposé ou un exode choisi. D’improbables rencontres. Des mariages mais aussi quelques divorces. Des deuils. « L’histoire de ma famille ressemble à la lente course d’un pendule revenant à son point de départ. » Tant il est vrai qu’en dépit des exodes, avec toutes les souffrances qu’ils impliquèrent, l’envie de revenir aux sources, de glisser ses pas dans les ornières laissées par les aïeux berlinois, cette envie-là fut parfois plus forte que les réticences. Michal en témoigne.

« Depuis, elle est revenue plusieurs fois à Berlin ; à chaque visite, son sentiment d’oppression s’est dissipé pour laisser place à sa fierté d’être la fille de Berlinois authentiques. A chaque retour en Israël, elle constatait qu’elle comprenait de moins en moins sa patrie bien-aimée. Pourquoi berlin était-il si reposant et Israël si fatigant ? Elle explique que ces allers et retours ont aiguisé son regard, et que ces nationalistes et racistes qu’elle pensait trouver à Berlin, c’est désormais en Israël qu’elle croise leur chemin, sous les traits des colons, des ultraorthodoxes et des membres du gouvernement. Elle se demande combien de temps elle pourra encore, en tant qu’Israélienne, supporter tout cela, cette politique de haine et de peur dirigée contre les Arabes. Cette politique qui consiste à fermer les yeux pour ne pas voir ses propres à fanatiques, ou à les laisser faire. »

L’histoire de la famille éparpillée ne se résume bien évidemment pas à cette confrontation de deux mondes – celui censé incarner le Mal et celui qui illustre le Bien -, la confrontation qu’accepte de vivre Michal. Même si dans ce mouvement-là, celle qui est désormais une vieille dame porte la part de culture qui relia ses aïeux à quelques-uns des personnages majeurs des mouvements révolutionnaires allemands. Ce récit foisonnant va bien au-delà d’une banale traversée des moments les plus dramatiques de cette histoire familiale. Puisqu’il suggère à ses lecteurs de s’efforcer de comprendre non seulement ce que furent les causes de l’éparpillement, mais aussi de mieux approcher la quête inachevée de celles et ceux qui, bien qu’appartenant à une commune descendance, n’ont point abdiqué dans leur quête d’une reconstruction de leur identité.

L’Auteur, Maxim LEO, est né et a grandi dans ce qui fut la RDA. Il est donc la continuité de ceux qui, dans cette famille-là, si peu ou si mal juive au demeurant, ont survécu au nazisme. L’originalité du récit qu’il offre à lire révèle que d’autres cheminements sont possibles, bien plus prometteurs que ceux qui n’offrent d’autre éventualité que d’accompagner et de soutenir l’aventurisme sioniste tel qu’il se laisse à voir depuis plus d’un demi-siècle.

Le vieux Lecteur reste subjugué par quelques-unes des traces que Maxim LEO reproduit dans son ouvrage. Tel ce témoignage en date du 27 juillet 1936. « Nina, Hanan et la petite Hanna quittent Berlin. Sur le formulaire établi par la police après leur désinscription, on lit à la rubrique « nouvelle adresse » : Palestine. Nina ne veut pas que sa mère les accompagne à la gare, elle trouve que c’est bien assez dur comme cela. En revanche,  Viktor, le père de Hanan, est venu leur faire ses adieux sur le quai. Il donne à son fils un cadeau popur sa petite-fille, un exemplaire de Faust relié en cuir et une lettre qu’elle devra lire que lorsqu’elle sera en âge de le faire par elle-même. « La petite Hanna doit savoir qu’elle a encore un grand-père dans un pays lointain, dit Viktor juste avant que sa voix se brise.

Cette lettre, je l’ai retrouvée dans les archives de Nina à Hazor. J’ignore si Hanna a pu la lire, puisqu’elle n’a jamais appris l’allemand. Le vieux Viktor l’a dactylographiée en lignes très serrées sur du papier pelure :

Chère petite Hanna,

Bien qu’une judaïsation aussi brutale ne soit pas tout à fait du goût du vieil auteur de ces lignes, celui-ci espère te réserver une petite joie pour le jour où tu te rendras à l’inauguration  de ta bibliothèque scolaire en Terre promise. Ton père te racontera alors dans quelle confusion des sentiments et des pensées, en l’an de grâce 1936, vous avez laissé l’aïeul derrière vous, un Ashkénaze presque incorrigible et, pouah, pouah, pouah, un assimilé.

Peut-être s’est-il jusqu’à ce jour – oh, comme c’est clairvoyant – accommodé du fait que tu est une sorte de néo-Juive à laquelle aura au moins été épargnée la forme intermédiaire et transitoire que représente le sioniste. Car le sioniste, c’est le type humain absolument affreux.

Connaîtras-tu jamais les langues du Sud et de l’Ouest de l’Europe, petite Hanna ? Quels soucis ont pu jadis animer le vieil humaniste de Berlin, te demandes-tu, petite Hanna. Et comment a-t-on jamais pu avoir du mal de choisir entre Panke et Jourdain, entre « Unter den Linden », « Sous les tilleuls », et « Sous les cèdres du Liban » ?

Beaucoup de sentiments ! Une vie pleine de bonheur et d’humanité ! Et enfin un peu de mémoire du vieillard de Berlin.
V.W. »

La rencontre du vieux Lecteur – le vieillard de Montpellier – et Maxim LEO, pour fortuite qu’elle ait été, laisse d’indélébiles traces dans l’esprit de celui qui ne dispose désormais plus d’autre refuge que l’univers des livres

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