Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Lectures
1 décembre 2021

Retour sur le Don

Retour-sur-le-Don

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Retour sur le Don »

RIGONI STERN Mario

( Les Belles Lettres )

 

Relecture d’un texte découvert voilà une vingtaine d’années. Dans une nouvelle édition de belle facture. Redécouverte, puisque le vieux Lecteur ne s’est jamais défait des angoisses que les guerres ont ancrées en lui. Dont, et en tout premier lieu, celle au beau milieu de laquelle il naquit, celle à laquelle Mario Rigoni Stern fut convié, lui qui tout juste âgé de vingt ans avait alors été incorporé dans une unité des chasseurs alpins italiens puis expédié sur le front russe pour combattre aux côtés des armées nazies. Sans qu’il ait eu le choix, son pays placé sous la férule de Mussolini, étant un allié de l’Allemagne hitlérienne.

La littérature de Mario Rigoni Stern témoigne non seulement contre la guerre, contre toutes les guerres. Mais elle est également un réquisitoire contre ceux qui en furent les instigateurs. Elle dit les souffrances endurées, tout autant que les découvertes les plus insensées. Celles-là même qui le pousseront, l’heure de la retraite venue, à effectuer un retour vers les contrées de ce qui fut sa guerre à lui, en ce pays qui était encore celui des soviets.

« Cependant, une seule chose désormais m’intéressait vraiment : obtenir le plus tôt possible l’indemnité de fin de carrière que ma caisse de retraite devait me verser. Cet argent, je le voulais pour retourner en Russie. Peut-être aurais-je pu trouver un journal pour financer mon voyage ; après tout, j’étais toujours celui qui avait écrit Le Sergent dans la neige. Des amis communistes aussi auraient pu trouver le moyen de me faire retourner là-bas à peu de fais. Mais je ne voulais pas de ça ; je ne cherchais pas à emprunter ces chemins-là ; je voulais être libre d’aller à ma guise. »

Mario Rigoni Stern est donc allé à sa guise, retrouvant les lieux si particuliers de « sa » guerre, ceux des pauvres morts, soldats italiens embarqués malgré eux dans une aventure sans lendemain. Le récit a bouleversé le vieux Lecteur qui s’en revint vers les paragraphes qui le reliaient à ces moments de l’Histoire dont d’autres lui avaient narré les moments les plus sombres.

« Nous passons par Olchovatka, descendons le long de la Kalitva, et à deux heures de l’après-midi, nous arrivons à Rossokh. Larissa et ma femme cherchent un restaurant ou une auberge, s’il y an a, mais moi, pendant ce temps-là, je parcours les rues où ont combattu et sont morts mes amis du bataillon Cervin et de la division Julia. Je regarde tout autour et je trouve étrange de voir des gens attendre tranquillement le car près de l’église et de ne pas entendre le bruit des tanks et des rafales de mitraillette. C’est là, précisément, entre l’église Saint-Nicolas et la gare (qui porte encore les marques de cette époque) que Mario Pesavento, mon camarade de l’école primaire, a été aperçu pour la dernière fois. Je voyais son père passer tous les jours devant chez moi quand il revenait de la carrière ; maintenant, il est chargé d’ans ; son dernier travail de tailleur de pierres a été un monument aux soldats portés disparus en Russie.

Ici auusi, à Rossokh, il y a un monument dans un jardin de bouleaux et d’érables ; il est dédié à ceux des leurs qui sont tombés, je traduis péniblement : « A la gloire éternelle de ceux qui sont morts pour la libération et l’indépendance de leur pays. »

Un peu à l’extérieur du centre, le long de la route qui descend à Novo Kalitva, ils ont trouvé un restaurant.

Avant de m’asseoir à table, je m’approche du comptoir pour acheter quelque chose pour le voyage – je prévois un dîner dans longtemps. « Je suis italien », dis-je à la femme qui me sert. Je vois son visage se transfigurer : pâlir, rougir, ses yeux s’éclairer et s’embuer ; sourire, enfin.

Nous ne réussissons pas à nous parler. Cette femme qui, sous le coup de l’émotion, n’arrive pas à faire le paquet, devait avoir vingt ans à l’époque. Elle me dit : « Da svidania » ! Puis en italien : « Au revoir ». Rien d’autre. »

Publicité
Publicité
Commentaires
Lectures
Publicité
Publicité