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Lectures
20 janvier 2021

Papa, qu'as-tu fait en Algérie?

branche

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? »

BRANCHE Raphaëlle

(La Découverte)

 

Raphaëlle Branche a sous-titré son ouvrage Enquête sur un silence familial. Pour le Lecteur, ce bouquin est un peu plus que cela. Tant il est vrai qu’il fut contraint de s’y immerger dans une partie, la partie fondatrice, de sa propre histoire. Les « évènements » d’Algérie (soit donc la guerre) débutent lorsqu’il a douze ans. Ils s’achèvent (la guerre s’achève) lorsqu’il a vingt ans. Incorporable, mais sursitaire, durant l’ultime période qui conclut les négociations, lesquelles débouchent enfin sur l’Indépendance algérienne (mars 1962). Cette guerre-là, il l’a vécue dès ses débuts dans la presse, en a entendu les échos par le truchement de la radio, l’a frôlée lorsqu’il a parfois croisé ceux de ses ainés qui avaient passé de très longs mois en Kabylie ou dans les Aurès. Il fut même convié à assister aux obsèques de celui dont le cercueil interdisait de visualiser les causes du décès, un « grand » qu’il avait autrefois côtoyé de loin sur les bancs de l’école où s’achevait la scolarité avec la tentative d’obtention du certificat d’études primaires. Le seul mort identifiable dans sa proximité de jeune Lecteur. Avec un père, son propre père, un taiseux, dont il comprenait toutefois, avec ce qu’il laissait à lire, qu’il était du côté de ceux qui, en France, militaient contre cette guerre.

(Que ce serait-il passé si la guerre avait duré, s’il s’était vu dans l’obligation d’endosser l’uniforme ? Se serait-il résigné, comme la quasi-totalité de tous les autres garçons de son âge, à partir pour l’outre-mer et de participer à ce que la propagande officielle qualifiait de « maintien de l’ordre », l’ordre colonial ? Aurait-il, au contraire, fait acte de soumission à son père, lequel avait renoué de vieilles relations du temps de la Résistance pour faciliter le passage de son fils ainé en Suisse, et donc devenir un déserteur ?)

Le livre de Raphaëlle Branche a bouleversé le vieux Lecteur. Il a réveillé des souvenirs qu’il avait emmurés au profond de sa mémoire. Même si ce vieux Lecteur ne s’est jamais tenu éloigné de ce que fut la guerre d’Algérie à travers les articles de presse et les romans (plus que les films) qui ont traité de cette douloureuse et cruelle période. Les témoignages recueillies par l’Historienne abordent non seulement à ce qui relève de l’intime mais aussi et surtout au rôle que l’Etat entendit faire jouer à ces jeunes hommes à peine sortis de l’adolescence dans un conflit dont ils ne maîtrisaient ni les tenants ni les aboutissants. Soit donc ce qu’il aurait pu advenir du jeune Lecteur d’alors. Le long silence qui servit de camouflage aux formes les plus barbares des pratiques mises en œuvre par l’armée. Dont la torture, bien entendu.

« Au retour d’une opération qui a vu l’armée utiliser le napalm, Marcel Yanelli confie à ses carnets le récit de l’arrestation d’une femme et d’un enfant. La femme est battue puis violée et exécutée sur ordre du lieutenant. « Je le savais exalté, mais je ne savais pas ce jeune lieutenant, souriant, fier et beau, aimant sa femme, je ne le savais pas cruel, sans pitié, même pas de haine au cœur, simplement le plaisir de tuer, de faire souffrir. » Sa stupeur devant le comportement de l’officier s’ajoute à sa détresse de militant communiste sous l’uniforme qu’il exprime en utilisant la comparaison historique (rappelons ici qu’il s’agit de carnets intimes : il écrit pour lui) : « Pourquoi ne se conduisent-ils pas avec les vaincus en hommes d’honneur, respectant leurs prisonniers, ne leur touchant pas un cheveu ? Parce qu’ils sont des nazis en second, des fascistes ? Derrière eux, ils entraînent, soudoient les soldats. Tous se conduisent en mercenaires. Ils n’ont pas de regrets au cœur. Pourtant, ces hommes, ces femmes, qui sont en face de nous, ont du mérite, un mérite inouï. » Et la souffrance est là, intime et politique : « Je ne dis rien, donc j’accepte de pareilles saletés ? J’aurai à en répondre à moi-même et à mes camarades. »

Cette guerre si longtemps sans nom, cette guerre aura abîmé des dizaines de milliers de jeunes vies engagées dans des combats qui n’étaient pas les leurs. Les faire revivre, faire revivre leurs souffrances avant qu’ils ne disparaissent relevait de la nécessité historique. Le travail accompli par Raphaëlle Branche répond à cette nécessité. Le Lecteur lui est donc gré d’avoir entretenu en lui la flamme qui est bien plus que celle du souvenir, celle du pourquoi du combat contre le renoncement et la soumission. Afin que nul n’oublie et soit donc en mesure de faire un usage constructif des moments les plus sombres de notre commune Histoire.

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