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Lectures
19 mars 2018

Essai sur le fou de champignons

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« Essai sur le fou de champignons »

HANDKE Peter

(Arcades/Gallimard)

 

Comme dans un rêve. Le monde réel qui n’est plus tout à fait le monde réel. Mais dont l’approche se nourrit de souvenirs si nets, si précis que l’illusion s’installe. Au point que le moindre détail en devient identifiable. Ce qui ne s’apparente pas à la folie au sens psychiatrique de la choses, qui s’assimile tout simplement au désir d’aller plus loin dans la découverte de ce monde frontalier au monde ordinaire, celui qui fut si souvent exploré.

Peter Handke n’a cependant pas écrit un conte sur la folie ordinaire, celle qui est susceptible de pousser quelqu’un de semblable au Lecteur à franchir la dite frontière. Il offre un texte « lumineusement » désespéré qui narre l’histoire de l’ami du narrateur, quelqu’un qui s’approcha par hasard des champignons en ses vertes années et qui ne connut dès lors qu’un seul vrai désir, celui d’avancer le plus loin possible dans sa découverte de ces étranges (et parfois savoureux) végétaux. Jusqu’à l’égarement. Jusqu’à l’enfouissement.

Donc un bouquin étrange, le mieux à même de nourrir les fantasmagories du vieux Lecteur. Une errance délibérée, à la périphérie de nos cités jusqu’au cœur des forêts les plus profondes. Avec des moments d’écriture dotés d’une grâce singulière qui fait penser à Giono.

« C’était un peu différent quand, comme parfois en automne, avant de retourner dans les villes où il étudiait, il revenait des lisières des forêts qu’il continuait à chérir comme dans son enfance, ses « lieux sources et lieux seuils », et rapportait ces gigantesques champignons avec un chapeau plus grand qu’une assiette posé sur un grand pied fragile et répondant au nom de « lépiotes élevées » ou « coulemelles » : sa mère ne feignait alors plus la joie, elle contemplait ces formes avec étonnement, parce qu’elles étaient beaucoup plus rares, uniques et de ce fait peut-être aussi plus belles, avant de présenter ces chapeaux panés et frits à la poêle comme des escalopes à son fils et à toute la famille qui, exceptionnellement, ne boudait alors pas son plaisir. Et malheur à celui qui, dans la maison, parlait de ces délices incomparablement tendres ne rappelant aucunement le champignon ni à l’esprit ni aux papilles et dépassant tout ce qui pouvait être spécial on d’une quelconque façon singulier, goût surpassant de très loin celui d’une escalope même tapée avec un attendrisseur – malheur à celui qui s’avisait de prononcer l’expression datant de la guerre mais qui avait la vie dure : « Ersatz de viande », alors que la coulemelle devait être à elle seule un régal. Et c’était chaque fois un régal exceptionnellement partagé par toute la famille soudain unie et recueillie, il envahissait la maison, jusqu’au coin réservé autrefois au crucifix, jusqu’aux photographies agrandies des hommes tombés pendant les guerres, c’était, c’est, ç’aura été un régal, même pour le fils encore archidifficile à l’époque qui, en outre, comme des décennies plus tard, devenu depuis longtemps autre chose qu’un fils, a répugné et répugne encore à toucher à ce qu’il a lui-même ramassé et rapporté. »

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