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Lectures
3 juillet 2017

L'insouciance

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« L’insouciance »

TUIL Karine

(Gallimard)

 

Le Lecteur ne dissimule pas son embarras. Ce roman s’empare en effet de problèmes de notre temps, les affronte avec un certain courage, révèle parfois ce qu’en d’autres temps d’autres Ecrivains auraient appelé de « l’engagement ». Contre les guerres. Contre la corruption. Contre les malfaisances perpétrées par les Puissants. Peut-être même contre le capitalisme. Sauf que les lignes de front idéologique ont beaucoup bougé au cours des trente ou quarante dernières années. Sauf que l’engagement lui-même est difficile à concevoir hors des espaces arbitrairement délimités par ceux qui ont mis à mal les positions autrefois occupées par les pacifistes, les anticapitalistes, tous ceux qui peinent aujourd’hui à fédérer leurs forces afin de tenter de reprendre l’offensive.

Oui. « L’insouciance » est un roman politique, un roman qui s’ancre dans des réalités contemporaines. La guerre en Afghanistan à laquelle collabore l’armée française. Le retour au pays d’un « abîmé » par cette guerre. Sa liaison avec une journaliste, journaliste dont il s’avère qu’elle est l’épouse d’un Puissant. Un Puissant quasiment identifiable, un individu à la fulgurante carrière, de la pornographie à l’empire médiatique et à la téléphonie. Mais aussi l’Immigré qui a quasiment fait allégeance au Monarque (en l’occurrence, Nicolas le Trépidant), dont il devient un des conseillers avant de prendre un peu de recul puis de rebondir grâce à l’assistance d’une Communicante fréquentant assidument les allées et les contre-allées du Pouvoir. Des personnages qui s’égarent, vacillent puis retrouvent leurs équilibres, sauf les moins bien nantis, lesquels, en permanence, frôlent l’abîme (« Il était seul à présent : à l’instant où vous n’êtes plus au pouvoir, le magnétisme que vous octroyait votre fonction s’efface – c’est un fait : vous êtes moins désirable. »).

Reste la question centrale : « L’insouciance » est-il un bon roman politique ? Le Lecteur ne le pense pas. Certes Karine Tuil a amalgamé toute une série de problématiques qui font débat au sein de la société française. Dont celles de l’immigration et des quartiers transformés en ghettos dont il est difficile, voire même impossible de s’extraire, sauf en endossant l’uniforme de l’armée française. Dont celles de l’antisémitisme, avec ce Puissant si facilement identifiable et sur le compte duquel un fouille-merde révélera qu’il a de vagues ascendants juifs. Mais l’Auteure peine à se défaire des liens qui l’entravent, ceux que diffusent l’idéologie dominante. En dépit d’une apparente générosité, malgré les bons sentiments et les références dont certaines firent sourire le Lecteur tant elles prirent, à ses yeux, les apparences d’alibis (l’Immigré qui faillit réussir et qui, au moment où il se retrouve dans le creux de la vague, découvre Frantz Fanon).

Un roman raté ? Un roman trop ambitieux ? Peut-être pas. Mais à coup sûr, un roman qui n’atteint pas à sa propre émancipation, qui reste trop souvent englué dans les rets de l’idéologie dominante. Qui vaut toutefois, et toujours aux yeux du Lecteur, par cette tentative désespérée de sortir des sentiers battus, de s’affranchir, de laisser voir quelques unes des tares qui confèrent à la société française ces si peu reluisantes couleurs étrangères aux rêves irisés qui jalonnèrent son histoire.

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