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Lectures
5 décembre 2016

La matière de l'absence

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« La matière de l’absence »

CHAMOISEAU Patrick

(Seuil)

 

La mort de Man Ninotte. La mère de l’Ecrivain. Personnage flamboyant, dotée d’une énergie peu commune. Femme de caractère à laquelle ses cinq enfants rendent hommage. L’occasion d’un dialogue littéraire entre Patrick Chamoiseau et la Baronne, sa sœur ainée. Ou plutôt d’un long monologue entrecoupé des interrogations et des réflexions formulées par celle qui exerça le difficile métier de maîtresse d’école. La Baronne. Qui, à sa façon, est également à la recherche des « Traces ». Celles que laissa Man Ninotte tout autant que celles, éparses, multiples qui fournissent des indications sur l’histoire commune à toute l’espèce humaine, depuis la nuit des temps. « La Trace… est donc un rien-univers qui subsiste, une résultante subtile, légère, tremblante, toujours en devenir, et qui clignote un autre possible dans la ruine des symboles antérieurs et des hautes certitudes. La Trace est bien plus proche de la question que d’une quelconque réponse. La Trace est créole. Le jazz est une Trace. »

Donc les références. Glissant plus que Césaire. Fanon   parfois. Une filiation que revendique Patrick Chamoiseau tout au long de cette quête qui entremêle les Traces quasi vivantes que laissa sa propre mère et toutes celles qui le relie à l’histoire des peuples arrachés à leur Terre première. Une continuité, oui. « Une photo peut déclencher en moi des contes inépuisables, mais celles-ci (celles où figure Man Ninotte) ne me ramènent que des flots de sensations, des saisies que j’avais cru oublier et qui gisent comme des sources dans les arcanes de ma mémoire. Elles génèrent un espace sensible que j’ai dû mobiliser dans plein de descriptions, elles sont pourvoyeuses de perceptions que j’ai dû affecter à des personnages ou à des pages impudiques d’écriture, mais je n’avais jamais écrit sur elles, me contentant de les poser sous cadre sur des étagères où je farfouille de temps à autre quand un livre m’appelle. »

Patrick Chamoiseau « farfouille » beaucoup. Dans tous les sens. Et tout particulièrement dans ceux qui lui furent indiqués par Glissant, Césaire, Fanon. L’autre continuité. L’appartenance à une culture plus qu’à une terre. L’appartenance à l’Humain. Ce long et beau récit n’est pas « confortable ». Il interroge. Il advient parfois qu’il irrite, tant il est vrai qu’il échappe aux normes du récit bien pensant. Il est le regard inverse, celui qui remet en cause les structures de la culture dominante. Il bouscule avant de rassurer, de retenir par les mots le Lecteur qui s’était égaré. Il renvoie un reflet douloureux d’une histoire qui nous est commune, mais dont les conséquences sont, aujourd’hui encore, traitées sur les terres du Lecteur de manière subalterne, comme pour le pousser à ignorer le Crime. Cette gangue dont il faut bien tenter de s’extraire. « Le manque diffuse du frisson très imaginatif. Il exhorte ce qui demeure autour de nous, ce que nous percevons du profond de nous-même, et l’incline vers le lieu où se forgent les poèmes impossibles à écrire. Les poèmes qui demandent à se vivre. Ce que les poètes écrivent ne constitue que les décombres de ce qu’ils ont su vivre. Et ce qu’ils ont su vivre n’est que l’écume de ce qu’ils ont pu deviner et dont le manque leur reste à vie comme le sillage d’une lumière… »

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