Mariées rebelles
« Mariées rebelles »
KASISCHKE Laura
(Page à Page)
La découverte de l’autre versant de la personnalité littéraire de Laura Kasischke, la Poète (le Lecteur hésitant à écrire « Poétesse »). Bien que l’œuvre fut datée. Vieille de bientôt un quart de siècle. Mais qui éclaire l’œuvre de la romancière. Qui anticipe sur ce qu’elle recèle de colères, de fureur, de refus de l’enlisement dans les conformismes. Une formidable volonté de vivre, d’être, d’assumer.
« Les accords tendus, le crescendo sans fin,
le raffut de la musique et du mouvement
soulèvent la maison
dans les airs, envoient
la déflagration sonore quand sont abattus
les murs du son,
la locomotion ascendante
du dîner à préparer, de l’amour à faire, du réveil
tous les jours après jour, le grondement
d’un quai dans le passé
de mes seize ans
dans l’attente d’un train
alors qu’en bas dans la rue
une vieille femme sourde
plante des choux derrière une remise. »
Ce qui se perçoit. Ce qui s’entrevoit. Qui émane de Laura Kasischke. Les souffrances lors du cheminement vers l’âge de femme. Un Lecteur bouleversé. Qui frémit et dissimule ses larmes derrière l’entremêlement des mots.
« Quand ce sera terminé je dirai
Il y a eu de belles nuits.
Certaines ont le même goût
qu’a eu ma vie tout entière.
Comme cette nuit d’août
où un voisin m’a payée
pour danser sur sa table de pique-nique.
La Voie lactée comme une traînée
de fumée dans le ciel.
Moi la bouche ouverte, de l’air
partout
et son visage éclairé et flottant
sur l’étoile d’une cigarette.
J’avais dix ans et jusqu’à maintenant
ne me rendais pas compte
que j’étais nue.
La virginité comme le souvenir
d’une chute à travers le ciel,
voir mon âme renversée
de la table de pique-nique,
jetée entre mes côtes
comme une pierre en mon absence.
Je vieillis et me vis
comme cette chose, jetée
par accident et à jamais
dans l’océan du passé… »