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Lectures
29 janvier 2016

Je t'offrirai une gazelle

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« Je t’offrirai une gazelle »

HADDAD Malek

(Média Plus)

 

Le Lecteur doit à une jouvencelle de ses connaissances la découverte de ce fabuleux roman. Ce dont il lui est infiniment gré.

Lors de sa première parution en 1959 (chez Julliard), « Je t’offrirai une gazelle » fut ignoré par l’adolescent qui pourtant se plongeait déjà dans tout ce qui passait à sa portée. Qu’il ne lui en soit pas tenu rigueur : il n’avait alors que dix-sept ans. S’y confrontant aujourd’hui en son âge de quasi vieillesse, il ne peut que faire sienne cette phrase extraite de la préface que Yasmina Khadra a consacré à ce roman : « Ta patrie est ta prose : ta langue est ta générosité ; tu est ce que la nature fait de mieux et tu n’es apprécié que par ceux qui savent accéder à l’excellence. »

1959. La guerre. En Algérie. A Paris, « l’auteur a posé son manuscrit sur une table, près d’une gomme. » Un roman qu’il a intitulé « Je t’offrirai une gazelle ». Un roman que récupère Gisèle Duroc, l’épouse de l’éditeur chez lequel le manuscrit a été déposé anonymement.  « Gisèle découvrit cette histoire comme on lave une vitre. Ce roman avait des yeux. Moulay aimait. Moulay aimait Yaminata. Yaminata aimait. Yaminata aimait Moulay. Là-bas, dans le désert, quand la nuit a du talent, ils se voyaient au bout de l’oasis. »

Le cadre général est brossé. Deux récits s’entremêlent. Celui qui narre la vie parisienne de l’écrivain. « Paris fait du bruit. Il y a toujours Paris. Il y a partout Paris… Les rues ferment leurs bras. La rafle… » Et le bar de M. Maurice, là où « le vin rosé danse dans son ballon. » Celui qui exalte les amours de Moulay et de Yaminata. « Toute chaude, un beignet, un paquet d’aventure, c’est une chatte ronronneuse, Yaminata. Moulay l’imagine arrivant près de la guelta au bout de l’oasis. » La vie de l’exilé. Les amours impossibles. La gazelle promise et morte d’épuisement au terme d’une poursuite insensée, prélude à la tragédie à venir. Ce roman/poème ne se résume pas : il se vit. Pour peu que celle ou celui qui s’y immerge n’ai rien abdiqué de sa soif de liberté. Quitte à côtoyer l’abîme tout en ayant conscience qu’à tout instant, il est possible (et sans doute probable) de s’y engloutir.

Donc un roman/poème qui rebondit d’un monde aux apparences du réel, celui du l’exil, à un monde idéalisé, celui qui atteint à son achèvement dans les fracas de la guerre qu’il n’est nul besoin d’introduire dans le récit. L’équilibre instable entre deux cultures. La culture imposée par le colonisateur et l’autre, une survivance en voie de dépérissement. La fascination qu’exercent sur l’écrivain les beaux esprits parisiens (« … Oui, il y aura toute la bande… Non, non, pas Camus… Oui, il y aura Sartre, Bourdet… »). La nostalgie/répulsion à l’égard de ce qui fut. L’impossibilité d’appartenir pleinement à l’une et à l’autre des cultures, celle qui se protège des intrusions et celle qui se délite.

Roman/poème désespéré ? Le Lecteur ne le croit pas. L’œuvre vibre, s’illumine en ses fulgurances, se colore, s’extirpe des grisailles ordinaires. Au cœur du Sahara, bien évidemment. Mais aussi à Paris où l’écrivain rencontre quelques grands noms des belles lettres. Dont François de Lisieux. « François de Lisieux voltige au milieu des idées qui l’éclaboussent. Il affirme. Ses cheveux sont d’un blanc bleuté. » François de Lisieux ? Les Lettres Françaises ? Aragon ? « François de Lisieux se ressemble. Il le sait. Il se connaît par cœur. Ses yeux n’ont que l’éclat des choses qu’ils transforment. Sa lèvre inférieure mince et bien dessinée rappelle son orgueil et sa colère. Mais il sait sourire. Peu de gens savent encore sourire. Les sourires sont des larmes qui ne sortent pas de la bouche. Les sourires sont des virgules, des points de suspension. Peu de gens savent encore ponctuer. » Une œuvre à découvrir. Une oeuvre forte, originale, singulière.

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