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Lectures
5 juin 2015

Maudits

maudits

 

 

 

 

 

 

 

 

« Maudits »

OATES Joyce Carol

(Philippe Rey)

 

Un lourd roman, doté d’une exceptionnelle puissance, qui se travestit en récit historique mais s’affiche bel et bien comme une œuvre de fiction. Car si Joyce Carol Oates confie « sa » plume à un historien pour narrer la multitude des faits troublants qui émaillèrent la vie de Princeton et de son université en 1905 et 1906, c’est bien la romancière  qui brouille les pistes et se réapproprie ce qui s’affiche très vite comme un prolongement d’œuvres antérieures (et en particulier « La légende de Bloodsmoor », un roman qui mit autrefois le Lecteur cul par-dessus tête). L’historien ? Un certain W. van Dick II, détenteur, c’est du moins ce qu’il affirme, de documents jusque là tenus secrets et susceptibles d’éclairer les drames qui s’étaient déroulés dans la paisible cité 80 ans plus tôt. Se croisent et s’affrontent les familles des notables du cru, richissimes dans bien des cas et résidant dans de somptueuses demeures. Tous protestants ou, plus précisément, presbytériens. Dont les Slade qui occupent une position centrale dans cette histoire. Mais aussi un ancien Président américain, Grover Cleveland. Le président de l’université, Woodrow Wilson, qui ambitionne d’accéder à la fonction suprême mais qui doit faire face à une fronde au sein de son institution. Des disparitions inexpliquées. Des meurtres. Et même de l’adultère. Des désirs réfrénés. Des viols. Du sang. Des vampires. Des fêtes gothiques dans un manoir perdu au beau milieu des marais. Des morts qui ressuscitent. Ce que la raison ne peut concevoir mais qui devient cependant concevable sous « la plume » de l’historien puisqu’il dispose de notes secrètes, de documents inédits. Le fantastique s’insinue dans l’Histoire, la malaxe, la bouscule, ramène les Puissants à leur pitoyable dimension humaine.

Mais « l’exception » de ce roman se situe ailleurs, aux yeux du Lecteur. Elle transparait dans la présence de personnages à peine secondaires. En particulier ceux d’Upton Sinclair et de Jack London. Deux romanciers qui chacun à leur manière furent les instigateurs du mouvement socialiste aux USA. La « transcription » du meeting que ces deux là tinrent le 29 mai 1906 au Carnegie Hall constitue à elle seule un véritable morceau d’anthologie. Là encore, la fiction s’empare de l’Histoire et transforme les idoles en pantins. Les quelques « lenteurs » qui émaillent ce long roman de 800 pages n’altèrent en rien son extraordinaire puissance dévastatrice. Les « Maudits » de Joyce Carol Oates ont subjugué le vieux Lecteur.

« … Où était passé le Boy Socialist ? Etait-ce simplement la conséquence de l’abus d’alcool et de nourriture, et de l’adulation du public ? Si Upton avait – peut-être ! – très légèrement envié à London son public de Carnegie Hall, il avait vu combien il est séduisant de divertir une assistance aussi nombreuse et chahuteuse ; combien il est difficile de résister au plaisir de provoquer de gros rires gras quand on en est capable, et beaucoup plus difficile de conserver la ligne de persuasion que l’on s’est fixée et de tenir le discours de la logique ; de ne pas compromettre ses idéaux, ni de s’abaisser au niveau du vaudeville et du burlesque… Upton fut saisi de terreur à l’idée – l’idée absurde – que le noble Jack London était la victime d’un imposteur ; que le héros socialiste avait été transformé, on ne sait comment, en ce clown ivre et brutal, une parodie de lui-même ; un assassin du véritable Jack London ; peut-être même… un démon… »

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