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Lectures
16 janvier 2015

Les années 10

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« Les années 10 »

QUINTANE Nathalie

(La Fabrique)

 

« Tomates ». « Crâne chaud ». Les fondements d’une fréquentation que le Lecteur voudrait déjà assidue. Et voilà que Nathalie Quintane publie à La Fabrique ce bouquin qui dérange, qui bouscule, qui enchante aussi (oui, qui envoûte, qui subjugue, comme le rappelle le Petit Robert). Le regard lucide de cette écrivaine observe ici le dépérissement, l’agonie, les convulsions de ce monde dans lequel il faut pourtant bien s’évertuer à survivre. Désespéré ? Le Lecteur n’en est pas certain. Le mouvement ne s’est pas interrompu depuis ces temps déjà lointains où Mitterrand s’installa sur le Trône. Même si la gauche s’est vidée de sa substance pour se gaver d’une autre substance pompée celle-là au cœur d’un corps autrefois étranger. Même si la gauche s’est désentravée d’un Peuple à ce point encombrant qu’il lui sembla urgent de s’en défaire afin qu’il ne compromît pas la réussite de ses nouvelles croyances.

« Les années 10 » n’a (n’ont ?) pas guidé le Lecteur vers une quelconque pensée censée révolutionner les fondements d’une idéologie qui se serait diluée dans l’autre pensée, la dominante, l’exclusive. « Les années 10 » interroge (interrogent ?), fait (font ?) appel à ce qu’il reste de sensibilité, d’intelligence chez ces gens qui aujourd’hui encore se réclament de la gauche. « Les années 10 » se lance (lancent ?) à la recherche de ce Peuple dont il est si simple, si lâche peut-être de considérer que son regard s’est, une fois pour toutes, tourné vers les forces qui incarneraient cette éternité provisoire promise à une nation dépossédée des valeurs par les truchements desquels s’édifia son unité. Par touches subtiles, Nathalie Quintane induit l’idée que rien d’irrévocable n’est promis à ce Peuple. Même si le pire s’annonce dans les phrases énoncées par la Fille de son Père : « …les pays reprendront leurs droits, madame, n’en doutez pas, les pays redeviendront souverains, je vous le demande, madame ? Quand les personnes de ce pays redeviendront souveraines, quand l’individu redeviendra souverain, lance-t-elle dans une sorte d’échappée à la Georges Bataille, quelque peu incongrue – un tumulte se prépare, continue-t-elle dans la même veine, un tumulte logique et terrible qui mettra à bas tous les politiciens vicieux, achève-t-elle en voyant que la commerçante commence à faire les gros yeux et s’essuie gênée les mains sur son pull de mohair. » Le tumulte qui prélude à l’ordre fasciste.

Nathalie Quintane chemine vers le Peuple, poursuit sa quête en contournant la Fille de son Père et dont les marinasseries empuantissent l’espace social. Jusqu’au plus profond des provinces, en cette ville de D où la Fille à son Père « visite » les commerçants. La quête de Nathalie Quintane est incessante, son constat terrifiant mais prévisible : « Il y a cette vérité indéniable que le peuple de 70 (1800) n’est plus, et le fait sensible que je ne peux me dire et vous dire cette vérité sans l’accompagner d’une brûlure, sans la souligner ou la soumettre à l’énoncé d’une brûlure mélancolique, si bien que la vérité de la disparition d’un peuple (disparition et non éclipse, par exemple) non seulement est « imprégnée » de mélancolie, ou de nostalgie, mais qu’elle se confond avec cette mélancolie, si bien que dès qu’une voix mélancolique, ou nostalgique, se fera entendre à propos de « peuple », c’est qu’il aura disparu – le peuple – et qu’il n’y aura plus qu’une adresse à nous, au nous qui observe qu’un peuple a disparu et que s’il en reste un, ce ne sera pas le peuple que nous avons connu et aimé, ce sera un peuple inconnu qu’il faudra apprendre à aimer, ou qu’il sera (plus sûrement) difficile d’aimer…. » Propos prophétique ? Le Lecteur en est quasiment convaincu.

Le Lecteur ne s’engagera guère plus loin dans l’exercice des citations. Afin de ne point nuire à l’Editeur. Même s’il doit réprimer son désir (plus que son envie) de reproduire ici la quasi-totalité du texte. Il s’arrêtera toutefois sur celui intitulé « Les prépositions ». Là où il est question des pauvres, cette frange invisible du peuple en décomposition. « Pour les pauvres. Ou est-ce que ce ne serait pas plutôt vers les pauvres. Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt indiquer – une direction ? Parmi les pauvres est par exemple douteux, même si parmi maintient une disjonction – on peut être parmi et tout à fait distinct, soit : à côté, mais on peut-être à côté sans être aux côtés, là est le problème. Par les pauvres – ce qui se dit peu de nos jours – est tactique et manipulateur, donc on oublie. J’aime avec, sa brutalité simple, son absence de chichi ; mais ce n’est pas adéquat dans cette situation : évidemment que je ne parle pas ici avec les pauvres. Aucune discussion n’a lieu ici avec les pauvres… »

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