Pour Isabel

« Pour Isabel »

TABUCCHI Antonio

(Gallimard)

Il ne s’agit pas d’un roman posthume, mais d’une œuvre dont Tabucchi a voulu qu’elle ne soit publiée qu’après sa mort. Donc une œuvre maîtrisée, une œuvre assumée, une œuvre accomplie. Une œuvre qui redonne vie à un personnage déjà rencontré dans d’autres romans (dont « Requiem »), Isabel. Ce qu’explicite fort bien Bernard Comment, le fidèle et excellent traducteur de Tabucchi : « (ce roman) est donc la pierre angulaire de l’œuvre d’Antonio Tabucchi, un texte où le personnage d’Isabel se déploie en versions successives. Ce livre fondamental, l’auteur avait décidé de ne pas le publier de son vivant (même s’il n’a jamais voulu donner trop d’emphase à ce geste) : il ne pouvait exister qu’à titre posthume, comme un message qu’une étoile continue de nous envoyer bien après sa mort, par radiation lumineuse. »

Isabel disparaît. Dans le Portugal des dernières années du salazarisme. Un mystère que Tadeus tente d’élucider. De rencontre en rencontre, de cercle en cercle. Des cercles qui se resserrent sans que jamais la vérité puisse transparaître. Une vérité qui paraît même s’éloigner dans les moments où Tadeus croit s’en rapprocher. « Le photographe se dirigea vers une étagère qui devait rassembler des archives. Et il fouilla dans un bac, l’inspecta longuement, revins avec des photographies et m’en tendit une. Regardez cette image, dit-il, la photographie est une chose qui nous espionne, qui peut-être nous persécute, regardez cet enfant assis sur une couverture, avec un nœud dans les cheveux, c’est moi. Il fit une petite pause. C’est moi ?, m’arrive-t-il de me demander à présent, c’est moi ? c’est cela que j’ai été ?, cela a été le je qu’aujourd’hui j’appelle Tiago et qui vit tous les jours avec moi… »

Voilà un roman de l’après, un roman qui vient enrichir et éclairer l’œuvre, une des œuvres les plus passionnantes et les plus énigmatiques de la littérature contemporaine. Une œuvre qui interroge sur le sens de la vie, sur le sens que nous lui donnons. « … et si c’était au contraire la vie ?, la vie avec son immanence et son côté péremptoire qui se laisse surprendre un instant et nous regarde avec sarcasme, parce qu’elle est là, fixe, immuable, tandis que nous, nous vivons dans la mutation, et alors je pense que la photographie, comme la musique, cueille l’instant que nous ne réussissons pas à cueillir, à savoir ce que nous avons été, ce que nous aurions pu être, et contre cet instant il n’y a rien à faire, parce qu’il a plus raison que nous, mais raison de quoi ?, peut-être raison du changement de ce fleuve qui s’écoule et qui nous entraîne, et de l’horloge, du temps qui nous domine et que nous cherchons à dominer… »