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Lectures
19 novembre 2013

Le quatrième mur

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« Le quatrième mur »

CHALANDON Sorj

(Grasset)

 

Sorj Chalandon quitte l’Irlande. Mais l’ancien journaliste de Libé continue à se confronter à la guerre. En l’occurrence et pour ce roman, le Liban du début des années 80 de l’autre siècle. Lorsque le pays du Cèdre est le théâtre des affrontements entre les milices chrétiennes, soutenues par l’armée israélienne, les réfugiés palestiniens qui se reconnaissent dans Arafat et l’OLP, les Druzes et les embryons de ce qui deviendra le Hezbollah. Une guerre d’une férocité inouïe dont le paroxysme sera atteint lors des atroces massacres de Sabra et de Chatila.

Donc le théâtre. Et deux hommes. Samuel, le grec de Salonique, d’origine juive, metteur en scène, qui s’entête à vouloir mettre en scène à Beyrouth « Antigone » d’Anouilh, en confiant les différents rôles à des comédiens issus de toutes les communautés qui sont en conflit. Le Narrateur, jeune français, étudiant, comédien amateur, gauchiste comme on pouvait l’être en ces années-là, et ardent défenseur de la cause palestinienne. C’est à ce garçon que Samuel confiera la responsabilité de prendre le relais le jour où la maladie le contraindra à l’immobilité, à ce « militant, metteur en scène, surveillant dans un collège parisien, étudiant d’histoire attardé… (qui)  combattais l’ennemi (et) divertissais l’ennemi de son ennemi. »

Le Narrateur promet à Samuel de conduire le projet jusqu’à son aboutissement. Il se rend à Beyrouth et s’immerge dans les sanglantes réalités de la guerre. Il renoue les contacts avec les comédiennes et les comédiens sur lesquels Samuel avait jeté son dévolu. Puis il parvient à les réunir, à dialoguer, à les aider à s’installer dans la peau de chacun des personnages. « Imane a souri. Puis elle a inspiré, tendue, poings le long du corps. Elle a baissé la tête, cherchant tout au fond d’elle un autre regard que le sien. Charbel a compris ce que faisait la jeune femme. Il l’a imitée. J’ai cessé de respirer. La fille a relevé la tête. Le garçon a ouvert d’autres yeux. L’instant fut magnifique. Deux acteurs se mesuraient. Ni chrétien, ni sunnite, ni Libanais, ni Palestinienne. Deux personnages de théâtre, Antigone et Créon. Elle le narguait. Il la défiait. Elle irait jusqu’à mourir. Il irait jusqu’à la tuer. Ils sont restés immobiles une minute, corps penché en avant, tendus l’un vers l’autre, se prenant par les yeux sans un mot… »

La répétition s’achève. Les participants décident d’un second rendez-vous, quelques mois plus tard. Mais la guerre ne le leur permettra pas. Ne se réalisera pas le prodige qui se produisit une nuit de février 1944, à Paris, au théâtre de l’Atelier, lors de la générale de l’ « Antigone » de Jean Anouilh. « Dissimulé par les cintres, chacun a pensé la même chose. Cette pièce n’aurait jamais dû être jouée. L’impression terrible qu’un mur les séparait désormais du parterre. Le quatrième mur. Voilà qu’il existait vraiment. De béton, d’acier, étouffant le moindre souffle de vie. Ne laissant rien passer du dehors. Les laissant seuls sur scène, abandonnés. Comme si le théâtre s’était brusquement refermé sur eux. Un plafond, quatre remparts. Une minute entière, ils se sont crus emmurés. Et puis la salle a hurlé longuement. Une joie immense faite de pleurs et de vivats. Le rideau s’est ouvert. Tout était bouleversé. Les gens étaient montés sur leurs fauteuils, bras levés, pour applaudir plus grand Antigone la rebelle. »

Le public de Beyrouth ne montera jamais sur les fauteuils. Antigone ne sera pas conviée. Antigone n’est plus conviée dans ce monde où la barbarie lui interdit de se dresser contre l’oppression. Le Narrateur sera dans l’incapacité de tenir la promesse formulée à Samuel. Samuel que le cancer dévore dans un hôpital parisien. Tandis qu’au Liban meurent dans d’effroyables circonstances Antigone et Créon, Imane et Charbel.

Il fut bien difficile au Lecteur de s’arracher à ce roman, de le refermer, de l’abandonner dans sa bibliothèque au milieu d’autres romans. En revisitant Antigone, en lui conférant une nouvelle part d’éternité, Sorj Chalandon a réussi un pari a priori insensé : relier les tragédies de notre temps aux grandes tragédies antiques. Avec l’humilité qui sied à l’artisan des belles lettres. Avec le souffle qui n’appartient qu’à celui qui refuse de s’accommoder de toutes les barbaries qui jalonnent l’histoire que nous vivons.

Sorj Chalandon - Le quatrième mur

http://www.mollat.com/livres/chalandon-sorj-quatrieme-mur-roman-9782246808718.html
Notes de Musique : Chants maronites traditionnels 25 Gnen 'Abde" />
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