Lumières de Pointe-Noire
« Lumières de Pointe-Noire »
MABANCKOU Alain
(Seuil)
Le retour d’Alain Mabanckou à Pointe-Noire, la ville de son enfance. Près d’un quart de siècle après qu’il l’eût quittée. D’abord étudiant à Paris. Puis poète et écrivain, mais aussi enseignant dans une université américaine. Il n’a suivi ni les obsèques de sa mère ni celles de celui qui selon nos franchouillardes conventions fut son père adoptif. Le retour et donc l’hommage posthume à ces deux-là. Et l’immersion dans l’univers « familial ». Un univers à faire frémir d’indignation tous les adversaires du mariage pour tous. Là-bas, au Congo, la famille y est d’abord et avant tout une affaire d’affinités. Elle y est donc un ensemble d’une extraordinaire diversité. Et c’est sur ce versant-là que le livre d’Alain Mabanckou tient du prodige. Puisqu’il n’apprend rien ou si peu sur d’autres réalités de ce Congo qui fut français : politiques, sociales, économiques, culturelles. Ce qui, de toute évidence, ne fut pas la préoccupation première de l’Ecrivain. Qui esquisse, dessine, donne vie et chair humaine à tant de fascinants portraits. Ceux de la mère et du père adoptif, bien entendu. Ceux des oncles et tantes, cousins et cousines, aïeules et aïeux, mais aussi celles et ceux qui s’insinuent dans des sous-catégories étrangères à l’entendement du franchouillard ordinaire. C’est une Afrique qui a un passé, qui a une histoire que fait vivre Alain Mabanckou à travers des touches successives empreintes d’estime, de respect, de tendresse, d’amour. C’est une Afrique qui s’essaie à s’inventer des cheminements étrangers aux visions des anciens colonisateurs. Si loin des préjugés et des caricatures. Ce qui donne, au bout du compte, un beau et bon bouquin, un bouquin qui rend heureux, qui fait que l’on se sent un peu mieux homme parmi les hommes.
« Un ami de France que j’ai croisé dans le hall de l’Institut français et à qui j’ai montré ma photo avec mes neveux a conclu que ces petits, « comme la plupart des enfants de Pointe-Noire », sont dans un « paradis de misère ». Le Ponténégrin d’origine s’est lancé dans le genre de discours de ceux qui, à force de vivre en Europe, n’ont plus du continent noir que l’image renvoyée par les médias. Tandis qu’il s’exprimait, je le regardais avec commisération. Il avait oublié d’où il venait et espérait que le bonheur passait par la transposition des habitudes européennes dans notre pays. Il n’a peut-être pas conscience que les chaînes qu’il porte en lui-même dans ce qu’il croit être un confort en Europe ne font pas rêver ma petite tribu de la rue Louboulou. Certes ici il est habillé tous les jours en costume, avec une cravate et des chaussures cirées. Quand je le croise en Europe il n’est pas vêtu de la sorte. Ici, il joue un rôle : pérenniser l’idée que le salut de tout Congolais passe par l’Europe. Là-bas, il se confronte à la réalité, celle qu’il ne dévoilera pas aux jeunes qui errent dans les rues de Pointe-Noire : il vit dans moins de vingt mètres carrés, doit se battre pour légitimer sa présence en France, et se lève le matin pour dénicher un travail dans une agence d’intérim près de la gare du Nord.
Ces enfants, eux, savent, à travers la rudesse de l’existence, trouver les points de lumière. J’ai mis du temps à comprendre qu’ils étaient tout aussi heureux que lorsque j’avais leur âge et que le bonheur était dans le plat qui fumait dans la cuisine, dans l’herbe qui poussait, dans le pépiement d’oiseaux amoureux… »
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