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11 septembre 2012

Calligraphie des rêves

marse

« Calligraphie des rêves »

MARSE Juan

(Bourgois)

 

Barcelone. Les temps d’après la guerre dite « civile », mais aussi de l’autre, la seconde, la mondiale. La vie d’une famille dans un quartier populaire de la capitale de la Catalogne. Une dictature qui n’est cependant évoquée que par petites touches. Le climat étouffant. La pauvreté. La débrouille. Sans aucun doute beaucoup de notations autobiographiques. Mais Ringo est loin d’être une sorte de doublure de Marsé. Il est le personnage qui traverse les temps des violences larvées, des libertés bâillonnées et d’une résistance qui ne s’affiche pas. Les pages consacrées à l’autodafé consenti sont à ce titre bouleversantes : le père de Ringo et quelques-uns de ses amis décident de brûler leurs livres, leurs carnets, les photos, tout ce qui englobe leur vie d’avant, d’avant la guerre, d’avant la défaite. La menace se rapproche, une menace diffuse. Et l’on se prémunit. « Il (Ringo) regrette de voir les flammes dévorer un carnet à spirale presque neuf, avec ses feuilles quadrillées et sa couverture cartonnée crème, où est écrit à la main CNT cotisations. Il a toujours voulu avoir un carnet à spirale. Une semaine plus tôt, il avait vu son père s’asseoir à la table de la salle à manger et entreprendre de gratter patiemment, avec une lame de rasoir, quelques noms et chiffres sur ses pages, jusqu’à ce qu’il se fatigue et jette furieusement la lame dans son verre de vin  en criant : « Au feu tout ça, c’est plus sûr ! ».

Donc le temps de la peur, le temps des incertitudes. Ce temps que traverse Ringo, dans un quartier où les gens additionnent leurs souffrances. Lui qui rêva de devenir un grand pianiste est contraint  d’exercer de petits boulots. L’argent manque pour continuer à lui payer les cours que dispense un vieux musicien. Il bosse. Il entretient le rêve jusqu’à ce que survienne l’accident : le doigt coupé net par une machine. Il devient alors celui qui observe la vie de son quartier, installé dans un café où il traînera longtemps encore ses cahiers de solfège et ses partitions. Tout près d’une mère qui n’est pas tout à fait sa mère et d’un père qui n’est pas tout à fait son père. Dans une ville endolorie. « A propos de ce qui s’est passé ce jour-là, son père racontait toujours que le petit, le voyant pleurer en triturant son cigare avec ses dents, s’était mis soudain à pleurer lui aussi, non parce qu’il se sentait impuissant et plein de rage en voyant défiler les nationalistes, pas pour ça, bien sûr, il était trop petit pour comprendre qu’on avait perdu une guerre et tant d’espérances, mais d’une certaine façon en revanche on pouvait dire qu’il pleurait de la même peine, par empathie, car c’était bien pour cette raison qu’il voyait pour la première fois son père pleurer. »

La Guerre puis ce qu’il advient de l’Espagne n’a jamais cessé d’interroger le Lecteur. Ce roman d’une exceptionnelle sensibilité mais aussi d’une grande pudeur est un de ceux qui le renvoie à ses interrogations tout autant qu’il nourrit son empathie à l’égard de celles et ceux qui se battirent contre la monstruosité fasciste.

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