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Lectures
6 septembre 2012

Gomorra

gomorra

« Gomorra »

SAVIANO Roberto

(Gallimard)

 

Prudent, timoré, rétif, le Lecteur avait, lors de sa sortie, voilà cinq ans, ignoré le témoignage de Roberto Saviano. Il a patienté puis il s’est ensuite contenté d’un achat à la sauvette, au cours de l’été 2011, avant d’abandonner le livre sur une étagère puis de l’en extirper début août 2012. Voilà. Le livre est désormais refermé. Quelques notes accompagnent le cheminement du Lecteur. Des notes qui soulignent son incrédulité. Il n’avait pas un seul instant imaginé que cela soit possible. Cela. Dans une société dite démocratique. Non seulement l’extrême violence criminelle, les crimes, les règlements de compte, les guerres de clans, de vraies guerres dont le bilan n’a rien a envié à d’autres guerres. "On la trouve toujours dans quelques numéros du Monde Diplomatique, cette carte, elle arbore une flamme plus ou moins grande là où se déroule une guerre : Kurdistan, Soudan, Kosovo, Timor-Oriental. Alors on songe à regarder à regarder l’Italie du Sud. A faire la somme du nombre de cadavres semés par la camorra, la mafia, la Sacra Corona Unita dans les Pouilles, les Basilischi en Basilicate. Mais il n’ y a rien, pas la moindre étincelle n’y figure. Le cœur de l’Europe. Le cœur de l’économie italienne. Peu importe comment cette richesse est produite, ce qu’il faut c’est que cette chair à canon reste engluée dans les banlieues, écrasée entre le béton et les ordures, dans les ateliers clandestins et les entrepôts de coke. Et que personne n’en parle, que tout ça ressemble à une guerre des gangs, une guerre des pauvres. ») Mais aussi les criminelles interférences entre la camorra et le monde policé (et prétendument civilisé) du capitalisme. Infrastructures. Travaux Publics. Ordures ménagères et ordures industrielles. Drogue. Haute couture. Tourisme. Agriculture. Il n’est guère de domaine qui soit étranger aux accords entre camorristes et hommes d’affaire. Avec la bienveillance et la complicité des hommes politiques.

Le Lecteur résume à grands traits. Mais ce que décrit Roberto Saviano dépasse l’entendement. Au point que le Lecteur s’est arrêté dix fois, vingt fois, en se posant cette unique question : « Serais-je dans un roman ? » Forcé de l’admettre qu’il ne l’était pas dans un roman, que chapitre après chapitre c’est une réalité inconcevable qui s’imposait à lui. Une réalité infiniment plus noire que ce qu’il avait entrevu dans les quelques polars italiens qui traitent de ce sujet-là. Si la camorra et la mafia sont en mesure d’imposer leur loi (qui n’est point la loi commune, la loi « légale », la loi démocratique, c’est qu’elles sont de connivence avec les capitalistes les plus éminents et leurs obligés, les politiques). « Je sais et j’ai les preuves. Les entrepreneurs italiens qui gagnent viennent du béton. Ils font eux-mêmes partie du cycle du béton. Je sais qu’avant de se transformer en séducteurs de mannequins, en propriétaires de yachts, en conquérants des marchés financiers, en magnats de la presse, avant tout ça et derrière tout ça il y a le béton, les sous-traitants, le sable, la pierre, les fourgonnettes remplies d’ouvriers qui travaillent la nuit et disparaissent au lever du jour, les échafaudages pourris, les polices d’assurance bidon. C’est sur l’épaisseur des murs que reposent les fleurons de l’économie italienne. On devrait changer la Constitution, écrire que la République italienne repose sur le béton et sur les entreprises du bâtiment. Ce sont eux, les vrais pères fondateurs. »)

La pourriture est partout. Inhérente au capitalisme. Avec l’affectueuse complicité de l’Etat. (« Les campagnes autour de Naples et de Caserte sont une cartographie des ordures, le révélateur de la production industrielle italienne. En visitant décharges et carrières, on peut connaître les détritus  de décennies entières de biens produits en Italie…. Tandis qu’un paysan labourait le champ qu’il venait d’acheter, à la limite entre deux provinces, le moteur de son tracteur commença à tousser, comme si terre était plus compacte que d’ordinaire. Soudain il vit apparaître des lambeaux de papier sur le côté du soc. C’était de l’argent. Des milliers et des milliers de billets de banque. Le paysan bondit de son tracteur et se mit à ramasser frénétiquement tous ces restes de billets, un butin caché là par quelque bandit, fruit de quelque gros braquage. Mais c’étaient simplement des billets déchirés et décolorés, triturés, qui provenaient de la Banque d’Italie, des tonnes de ballots de billets utilisés qui n’avaient plus cours légal… »)

Le plaidoyer est brillant. Il ne se borne pas à décrire : il scrute, il analyse, il va jusqu’au cœur du problème. Il interpelle aussi. Il suggère aux consciences de rester éveillées. Y compris chez ceux qui vivent loin des terres sur lesquelles règnent la camorra et la mafia. Puisque celles-ci cherchent à s’étendre et que rien ne nous garantit que nous soyons à l’abri. Le livre fait donc œuvre utile : il informe. « Connaître n’est donc pas un engagement moral : savoir, comprendre, est une nécessité. La seule chose qui permet de sentir qu’on est encore un homme digne de respirer. »

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