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Lectures
21 septembre 2011

Portrait-robot: mon père ma mère

père

"Portrait robot: mon père"
Christoph MECKEL
(Quidam Editeur)

En fait, un diptyque, constitué de deux portraits robots: le père et la mère. Deux portaits écrits à une dizaine d'années de distance, deux biographies, l'écriture de celle du père ayant précédé l'écriture de celle de la mère.
(Encore que le mot "biographie" paraisse inapproprié aux yeux du Lecteur. Si des élèments biographiques jalonnent les deux récits, ils servent à Christoph Meckel d'élèments d'analyse pour tenter de comprendre le comportement de deux adultes qui traversèrent les années du nazisme sans trop y laisser de plumes.)
Oui, le Lecteur aurait dû le préciser d'emblée: Christoph Meckel est allemand. Né en 1935. Avec le nazisme, s'il est tolérable de formuler un tel raccourci. Le Lecteur, lui, qui fréquenta l'Allemagne d'Adenauer, puisque lycéen, et que des échanges scolaires le conduisirent durant nombre de ses vacances dans des familles allemandes. Des familles dont les adultes avaient l'âge de ses père et mère. Un père (le sien!) qui, lui, côté français, avait choisi la Résistance. Un père qui se retrouva donc dans l'autre camp. Un père qui lui transfusa un certain nombre de valeurs qui le conduisirent très vite à s'interroger: pourquoi avaient-ils ces allemands commis autant d'abominations, des gens, a priori, si peu différents de lui? Ces interrogations restèrent et restent encore aujourd'hui sans réponse vraiment satisfaisante.
Les deux portraits brossés par Christoph Meckel lui apportent sur le retard de quoi s'engager un peu plus loin dans une analyse elle aussi inachevée. Le père, originaire de Freiburg (Bad-Wurtemberg), de cette Allemagne du sud, catholique et si proche culturellement de la France. La mère, prussienne et protestante. L'un et l'autre des intellectuels, issus de milieux intellectuels. Le constat qu'établit Christoph Meckel est implacable. "Tandis que Brecht, Döblin et Heinrich Mann émigraient, que Loerke et Barlach étouffaient à en mourir en Allemagne, alors que Dix et Schlemmer vivaient dans la clandestinité, cachés dans des villages du sud de l'Allemagne, que des musiciens, des scientifiques et des metteurs en scène disparaissaient, que des collègues étaient diffamés, persécutés et censurés, les livres brûlés et les tableaux confisqués, il écrivait tranquillement de la poésie traditionnelle et construisait une maison dans laquelle il voulait vieillir. Il paraissait à peine avoir eu connaissance de l'exode des juifs, des communistes et des intellectuels, de la disparition brutale ou progressive de l'ensemble de l'avant-garde. Alors que les SA défilaient, que le Reichstag brûlait, qu'il était lui-même témoin de déportations (il fut interrogé par un commando qui fouilla ses livres), il continuait à écrire récits et poèmes dans lesquels l'époque était absente."
Le père continua donc à écrire sans jamais faire référence à l'époque dans laquelle il vivait. (Alors que la mère, plus réservée, plus distante, s'évitait cependant d'exprimer des idées non conformes.) Lorsque la guerre atteignit à son paroxysme, il fut bien entendu mobilisé puis, dans un premier temps, expédié sur le front de l'Est. "Le pouvoir changea son optique. L'esthète, soucieux de la noblesse de la langue, tombait de plus en plus souvent dans le jargon abject des potentats. Il n'était peut-être pas homme de mépris, mais désormais il voyait partout Polacs, misérables garces et canaille réfractaire. Il n'était vraissemblablement pas antisémite, mais il voyait l'élimination des Juifs comme une fatalité, une tragédie, terrible pour l'individu mais globalement inéluctable. Il regardait l'ennemi fusillé avec indifférence. Le partisan abattu ne troublait pas la quiétude de ses rêves. Le vernis de l'esthétisme se craquelait. La brutalité de l'officier s'affermissait...."
Le Lecteur ne cesse de frissonner. Lui qui fréquenta durant les années cinquante d'honnêtes et respectables pères de familles, bien installés dans ces villes alors en pleine reconstruction (Cologne, Munster, Essen, Wiesbaden...), des cadres de l'industrie renaîssante, des professeurs, il découvre, plus de cinquante ans plus tard, cette sorte d'inéluctabililité à laquelle jusqu'alors il n'avait su se résoudre. "Toute sa vie, le caméléon ne bougea pas d'un poil car il ne possédait qu'une couleur." Familles déjà engoncées dans le confort d'une nouvelle modernité. Familles accueillantes, familles chaleureuses, familles cultivées au sein desquelles on lisait Goëthe, Mann, Böll, Brecht (peut-être), on écoutait Mozart, Beethoven et Mahler.
"L'homme qui était mon père prétendait être une personne - en ce qui concerne le Troisième Reich - irréprochable. Ma mère renforçait cette image. Mon erreur avait été de les croire. Depuis cette fameuse nuit, je ne cessais de me demander comment il était possible de les avoir crus, de n'avoir jamais vraiment mis en doute mes parents - alors qu'à mes yeux pourtant, tout Allemand était suspect..."
Voilà. Le diptyque s'ouvre ensuite sur cette femme que Christoph Meckel évoque ici. Avec un préalable: "je n'ai pas aimé ma mère". Le reste? Une culture autant prussienne que protestante. Le sens du devoir. La quasi ignorance des fracas de la guerre. Le désintérêt à l'égard de toutes celles et de tous qui furent persécutés par les nazis. Une tragédie obsédante. Au goût infiniment amer, bien plus amer que celui de certains pépins de pomme dont le Lecteur fit état voilà quelques semaines.
Le temps a passé. A-t-il exercé son oeuvre? Le Lecteur n'en est pas certain. Ce dont il est certain, par contre, c'est ce que ce diptyque est une oeuvre majeure, une oeuvre qu'il serait malséant d'ignorer. Parce qu'elle pose des questions essentielles: celles du rôle de chaque être humain au coeur de la Tragédie. Parce que l'écriture magnifie le propos et qu'elle le situe d'emblée au niveau des plus grands maîtres de la littérature allemande.
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